
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
LUNDI SAINT
35ème jour de Carême

La Semaine sainte est le cœur battant de l’année chrétienne, une traversée intérieure vers la lumière de Pâques. Pendant 33 ans, je l’ai vécue comme un fidèle assidu, mais souvent dans une forme de solitude spirituelle. Le Jeudi saint, en particulier, me semblait déserté : peu de fidèles, une église froide, et l’absence de ma famille pesait lourdement. Tandis que les familles juives célèbrent la Pâque ensemble, je peinais à vivre ce temps fort dans une vraie communion. Aujourd’hui, mes enfants ont quitté la maison, et paradoxalement, c’est dans ce vide apparent qu’un renouveau est né. J’ai découvert la puissance d’une liturgie vécue chez soi, dans la simplicité et la foi. Je vous invite à entrer dans cette Semaine sainte autrement, en famille ou seul, mais jamais isolé. Car célébrer la Pâque du Christ, c’est accueillir sa présence vivante, là où deux ou trois sont réunis... ou même dans le secret d’un cœur offert.
Bénédiction du matin
Bénis sois-tu, Dieu de l’univers, pour la lumière de ce jour. Tu fais se lever le soleil sur les justes et les pécheurs, et tu m’appelles aujourd’hui à marcher dans les pas de ton Fils bien-aimé, notre Seigneur Jésus. Bénis sois-tu pour le souffle que je reçois encore, pour la vie qui bat en moi, pour cette journée neuve que tu me confies avec confiance. Donne à mes yeux de voir comme ton Fils, à mes mains d’agir avec douceur, à mon cœur de demeurer libre et brûlant d’amour. Garde-moi du mal, des paroles vaines, des jugements hâtifs et de l’oubli des pauvres. Que ton Esprit me précède et m’accompagne, que ton Fils, notre Seigneur Jésus m’inspire chaque geste, et que ta paix soit sur ma maison.
Bénis sois-Tu, Dieu notre Père maintenant et pour les siècles des siècles.
Amen.
De l'Evangile de Jean 12, 1-11
Six jours avant la Pâque, Jésus vient à Béthanie, là où était Lazare, celui que Jésus avait relevé d'entre les morts. Là, on lui fit un repas ; Marthe servait, et Lazare était l’un de ceux qui étaient à table avec lui. Alors Marie, prenant une livre d’un parfum très coûteux — nard pur — oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux. Et la maison fut remplie de l’odeur du parfum. Mais Judas Iscariote, l’un de ses disciples, celui qui allait le livrer, dit : « Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu pour trois cents deniers, et donné aux pauvres ? » Il dit cela, non parce qu’il se souciait des pauvres, mais parce qu’il était voleur, et que, tenant la bourse, il prenait ce qu’on y mettait. Jésus dit alors : « Laisse-la ; elle a gardé cela pour le jour de ma mise au tombeau. Car les pauvres, vous les avez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’avez pas toujours. » Une grande foule de Judéens apprit qu’il était là ; et ils vinrent, non seulement à cause de Jésus, mais aussi pour voir Lazare, celui qu’il avait relevé d’entre les morts. Alors les grands prêtres décidèrent aussi de faire mourir Lazare, parce que beaucoup de Judéens, à cause de lui, s’éloignaient d’eux et mettaient leur foi en Jésus.
Message
Six jours avant la Pâque, notre Seigneur Jésus revient à Béthanie. Ce n’est pas un simple passage : c’est un retour auprès de ceux qui l’aiment, un prélude à la Passion, une halte dans l’intimité d’amis vrais. À Béthanie, la vie a déjà vaincu la mort : Lazare, relevé du tombeau, est à table. Vivant. Présent. Témoignage muet mais éloquent que quelque chose de plus fort que la mort est à l’œuvre.
Marthe sert. Fidèle à elle-même. Elle ne parle pas, elle agit. Le silence de son service est aussi prière.
Mais c’est Marie qui rompt les cadres. Dans un geste d’une tendresse extrême, d’un amour libre et audacieux, elle verse un parfum rare, précieux, sur les pieds de Jésus… les pieds, non la tête, comme si elle anticipait l’abaissement du Crucifié, comme si elle voulait déjà entourer d’honneur celui que le monde allait mépriser. Ses cheveux essuient l’excès de ce don. Elle se fait servante de l’amour, elle expose sa tendresse à la vue de tous.
Le parfum se répand. Il remplit la maison. Il imprègne les vêtements, les murs, les souvenirs. Il est le témoin invisible de la beauté d’un cœur livré. À quelques jours de la croix, ce geste est comme une onction anticipée pour un roi en route vers l’humiliation.
Mais ce parfum dérange. Judas, le disciple au cœur dur, réduit ce geste à une perte, le ramène à un calcul. Il y voit du gaspillage là où il y a adoration. Il invoque les pauvres, mais il ment. Il parle d’économie, mais il se ferme à l’évangile de la gratuité. Ce n’est pas l'argent qui l'aveugle, c’est l’absence de relation.
Et notre Seigneur Jésus défend Marie. Il ne l’humilie pas. Il ne modère pas son excès. Il l’élève, il la désigne comme prophète silencieuse. Car elle a saisi ce que tant d’autres ont manqué : que le chemin vers Pâques passe par une offrande totale, une perte apparente, un parfum répandu, un amour donné sans mesure.
Ce lundi saint nous place face à une question cruciale : qu’avons-nous fait du parfum de notre vie ? L’avons-nous gardé pour nous ? Économisé ? Caché ? Ou l’avons-nous versé, même en tremblant, sur Celui qui va jusqu’au bout de l’amour ?
Le geste de Marie n’est pas seulement un acte de dévotion. C’est une prophétie. Elle annonce déjà que le tombeau ne retiendra pas la vie. Elle sait… intuitivement, charnellement… que l’amour est toujours un excès, une dépense inutile aux yeux du monde, mais infiniment précieuse aux yeux de Dieu. A vous qui avez pris de la distance… A vous qui êtes partis, blessés ou simplement usés, à vous qui ne vous reconnaissez plus dans les mots, les rites, ou les murs, à vous qui aimez encore notre Seigneur Jésus, mais qui avez laissé l’Église loin derrière. Il ne vous demande pas de revenir en arrière, mais d’écouter à nouveau cette maison emplie du parfum de l’amour. De sentir que, malgré tout, une tendresse plus grande que vos doutes vous attend. Que le Seigneur Jésus ne demande pas des comptes, mais accueille les gestes vrais. Il n'a pas rejeté Marie. Il n'a pas rejeté Judas non plus, malgré son hypocrisie. Il a laissé à chacun l’espace de revenir, ou de partir librement. Vous êtes encore en route, même si vous ne le savez pas. Et si vos pas vous mènent vers la croix, sachez qu'elle n’est pas la fin, mais le seuil de la vie. Pâques approche. La pierre du tombeau n’aura pas le dernier mot. Et vous non plus, vous n’avez pas dit votre dernier mot. Revenez. Non pas dans un système. Mais vers le visage du Christ. Là où le parfum est versé, là où la vie est donnée. Il vous attend.
Amen
Bénédiction du soir
Bénis sois-tu, Seigneur Jésus , en cette nuit qui vient.
Tu es le veilleur fidèle quand mes forces s’éloignent, l’ombre paisible quand mes pensées s’égarent. Bénis sois-tu Seigneur pour ce que j’ai pu vivre aujourd’hui : les joies partagées, les efforts donnés, les erreurs assumées, les silences habités. Pardonne mes gestes blessants, mes absences d’amour, et mes oublis de toi. Que ta miséricorde me couvre comme un manteau, que ta paix m’endorme doucement, et que tes anges du ciel montent la garde autour de ceux que j’aime. Si je ne me réveille pas, reçois-moi dans ton royaume, si je me réveille, garde-moi fidèle. En cette nuit sainte où déjà monte l’espérance de Pâques, fais mûrir en moi le fruit de ta Résurrection.
Bénis sois-Tu, maintenant et pour les siècles des siècles.
Amen.