
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
Mardi 29 avril 2025
10ème jour de Pâques

Bénédiction du matin
Béni sois-tu, Seigneur Jésus, roi de l’Univers, toi qui nous enseignes à prier comme des enfants aimés, toi qui ouvres nos lèvres pour dire : « Notre Père », toi qui fais de nous des frères et des sœurs, même au milieu de nos blessures, toi qui ne recules pas devant nos silences, nos absences, nos retours tardifs.
En ce matin, nous nous levons sous ton regard, et nous te bénissons pour le souffle que tu nous rends, pour la lumière neuve de ce jour, pour la terre que tu n’as pas abandonnée, où ton règne grandit comme une semence cachée.
Donne-nous aujourd’hui le pain de ce jour, le pain visible et le pain invisible,
le pain du corps et celui du cœur, le pain de la confiance, et le pain de ta présence au milieu de nous.
Remets-nous nos dettes, Seigneur, nos lâchetés, nos duretés, nos manques d’amour, nos refus d’écouter, de tendre la main, et tout ce que nous avons fait ou omis sans savoir.
Et si tu nous le demandes, donne-nous aussi la force, un pas après l’autre, de remettre à ceux qui nous doivent quelque chose. Mais toi seul sais, Seigneur,
combien il est difficile de pardonner lorsque nous avons subi la violence, sexuelle, corporelle, psychique, des rejets des trahison, de l’abandon ou du mépris. Tu vois bien que, pour nous, ce n’est pas encore du pardon, mais de la douleur à vif.
Alors nous te remettons cela. C’est trop lourd pour nous. Prends-le. Porte-le. Et guéris, à ton rythme. Ne nous fais pas entrer seuls dans l’épreuve,
ne nous laisse pas livrés au vertige, à la peur, à la nuit. Sois avec nous quand la tentation devient fatigue, et quand le mal cherche à se faire passer pour le bien. Délivre-nous du mauvais, de ce qui détruit en silence, de ce qui ronge l’espérance.
Aujourd’hui, Seigneur Jésus, règne en nous par ton amour, guide-nous par ton Esprit, vis en nous par ta paix. Et si nous t’oublions dans les heures pressées, dans les agitations ou les fermetures du cœur, rappelle-nous simplement ce matin, où ensemble, doucement, nous disons à Dieu : Notre Père.
Amen.
De l'Evangile de Matthieu 6, 9-15
Jésus disait à ses disciples : Vous donc, priez ainsi : « Notre Père, celui qui est dans les cieux, que soit sanctifié ton nom, que vienne ton règne, que soit faite ta volonté, comme dans le ciel, aussi sur la terre. Donne-nous aujourd’hui le pain nécessaire de ce jour. Et remets-nous nos dettes, comme aussi nous avons remis à nos débiteurs. Et ne nous fais pas entrer dans l’épreuve, mais délivre-nous du mauvais. Car si vous pardonnez aux humains leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux humains, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes. »
Message
Lorsque notre Seigneur Jésus dit : « Vous donc, priez ainsi… », il ne propose pas un modèle abstrait ni une formule magique. Il nous initie à une manière d’exister, tournée vers Dieu, vers les autres, et vers nous-mêmes dans notre vérité. Ce texte, si souvent récité, mérite d’être écouté à nouveau, comme pour la première fois, dans sa profondeur insoupçonnée.
Notre Père, celui qui est dans les cieux
« Notre Père » évoque la proximité, la relation, mais aussi l’origine, la source. Il ne s’agit pas d’un père distant, mais du fondement de notre être. Il est notre père et non pas seulement le mien. Dès les premiers mots, la prière décentre. Elle arrache du repli individuel pour ouvrir à la communion des croyants.
Les « Cieux » ne sont pas un lieu géographique, mais le domaine de Dieu, ce qui transcende, ce qui échappe à notre emprise. Prier ainsi, c’est reconnaître que notre vie a une origine plus haute, plus libre, que ce que le monde propose.
« Que ton nom soit sanctifié »
Ce n’est pas nous qui sanctifions le nom de Dieu, mais nous demandons que son nom soit reconnu comme saint dans nos vies. Le mot grec ὄνομα (onoma) signifie aussi « réputation », « essence ». Sanctifier le nom de Dieu, c’est vivre d’une manière qui révèle sa présence. Il s’agit moins d’un hommage verbal que d’une manière d’exister en vérité.
« Que vienne ton règne »
Ce n’est pas un empire visible. Elle désigne la souveraineté de Dieu, son agir en ce monde, souvent discret, comme une graine semée en terre. Prier pour qu’elle vienne, c’est nous ouvrir à son mouvement. Ce n’est pas un futur lointain, c’est une venue déjà à l’œuvre, en nous, autour de nous, si nous sommes attentifs.
« Que ta volonté soit faite »
Cela évoque une naissance, un surgissement : « que ta volonté advienne », « qu’elle naisse ici ». Et cette volonté n’est pas un caprice divin, mais ce qui fait vivre, ce qui restaure, ce qui sauve. Comme dans le ciel… dans le monde divin… qu’il en soit ainsi sur la terre : que ce monde devienne transparent à la volonté d’amour.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de l’essence, de la substance.
Ce verset reste mystérieux. Le grec ἐπιούσιος (epiousios) est un mot rare, peut-être forgé par l’évangéliste. Il peut signifier : nécessaire, essentiel, de ce jour, ou même du lendemain. Mais il y a une racine d’essence… de substance… d’existence. Il évoque ce dont nous avons besoin pour vivre aujourd’hui, pas seulement le pain matériel, mais aussi la Parole, la présence, la consolation, la force pour continuer.
Remets-nous nos dettes
Le mot grec ὀφειλήματα (opheilēmata) parle de dettes, mais dans un sens plus existentiel que financier. Il s’agit de tout ce que nous avons omis d’être, de faire, de donner. Nous portons tous des dettes, des absences, des blessures causées. Le pardon de Dieu n’est pas une abstraction morale : c’est une libération, une remise de fardeau.
Mais cette remise est liée à notre propre manière de remettre : comme nous aussi avons remis à nos débiteurs. Cela ne veut pas dire que Dieu attend notre perfection pour nous pardonner. Cela signifie que l’accueil de son pardon ouvre en nous la capacité de relâcher, de ne plus retenir contre l’autre ce qu’il nous doit.
Mais soyons clairs et justes : le pardon est parfois une montagne que l’on ne peut pas encore gravir. Lorsqu’on a subi de terribles violences sexuelles, corporelles, psychiques… des rejets et des humiliations lorsque le corps, le cœur ou l’âme ont été brisés, il est humainement presque impossible de pardonner.
Dieu le sait. Il ne nous presse pas. Il ne nous juge pas. Il voit que pour vous, ce pardon est encore de la douleur. Il ne vous demande pas de forcer votre cœur, mais de lui remettre cette impossibilité. Dites-lui simplement : « Seigneur, je ne peux pas pardonner… mais je te confie cette blessure. C’est toi qui vois, c’est toi qui guéris. »
Le pardon n’est pas oublier, ni excuser, ni nier la gravité. Le pardon, quand il vient, vient de plus loin que nous. En attendant, remettez à Dieu le poids de ce que vous ne pouvez porter seul. Il le portera avec vous.
Ne nous fais pas entrer dans l’épreuve
Ce n’est pas Dieu qui tente, mais sans sa force, nous pourrions être engloutis. Nous prions pour ne pas être livrés à l’épreuve sans lumière.
Mais délivre-nous du mauvais
le mal en général ou le malin, la force opposée à Dieu. Nous demandons à être tirés, arrachés, à ce qui nous détruit.
A vous qui avez quitté les bancs de l’Église, à vous dont le cœur s’est éloigné ou refroidi, à vous qui ne priez plus ou qui doutez que cela ait un sens : cette prière vous est encore adressée. Non pas comme un devoir, mais comme une respiration possible.
Vous n’avez pas à revenir à des rites vides ni à des institutions figées. Vous êtes appelés à revenir au Père non pas un juge lointain, mais une source, une origine, un regard qui ne vous a jamais quitté. Ce « Notre Père » ne vous réclame rien d’autre que d’ouvrir vos mains vides.
Et si votre vie a été traversée par des violences, des abandons, des injustices graves, sachez que Dieu n’est pas indifférent. Il n’est pas complice du mal. Il en souffre avec vous. Et si vous ne pouvez pas encore croire, pardonner, espérer… il vous attend là où vous êtes, là où vous en êtes.
Revenez, non pas à un système, mais à une voix. Elle ne crie pas. Elle dit simplement :
« Toi aussi, tu peux dire : Père. Même si tu le dis en larmes. Même si tu le dis dans le silence. »
Bénédiction du soir
Béni sois-tu, Dieu notre Père, par l’intercession de ton Fils bien-aimé, lui qui nous a appris à te dire simplement :
« Notre Père, qui es aux cieux… » Ce soir, nous venons à toi avec ce que cette journée a été : avec ses beautés reçues, ses gestes donnés, ses silences habités… mais aussi avec ses tensions, ses fatigues, ses oublis. Tu sais tout, Seigneur. Tu étais là, dans les moments que nous avons su t’offrir, et dans ceux où nous t’avons oublié. Tu étais là dans nos efforts sincères, et aussi dans nos fuites, nos hésitations, nos colères mal maîtrisées.
Que ton Nom soit sanctifié ce soir encore, dans ce que nous avons tenté de vivre avec droiture, et même dans nos échecs, si nous les déposons devant toi avec confiance.
Que ton règne vienne, même dans nos nuits. Fais de notre sommeil un lieu où ton Esprit travaille en silence. Fais de notre repos une terre où ta volonté pourra germer librement.
Donne-nous, Père, le pain dont nous avons besoin — le pain du repos, le pain de l’apaisement, le pain de l’espérance pour demain, et aussi ce pain invisible qui guérit ce que le jour a blessé.
Pardonne-nous, Seigneur, ce que nous n’avons pas fait par fatigue, peur ou orgueil. Pardonne nos paroles dures, nos regards fermés, nos refus d’aimer. Et si nous portons ce soir le poids d’un pardon impossible — face à ceux qui nous ont blessés, humiliés, détruits, parfois d’une manière dont on ne revient pas facilement… reçois cette douleur. Toi seul peux transformer la blessure sans la nier. Toi seul sais ce que cela nous coûte. Nous te remettons ce pardon que nous ne savons pas encore offrir. Ne nous juge pas, mais marche avec nous vers la paix.
Ne nous fais pas entrer dans l’épreuve, Seigneur, ne laisse pas l’angoisse nous saisir dans la nuit. Sois notre lumière s’il fait sombre, notre abri s’il fait froid,
notre veilleur si le sommeil tarde.
Délivre-nous du mauvais, de ce qui nous ronge intérieurement, de ce qui nous empêche d’aimer, de ce qui murmure que rien ne changera jamais.
Et maintenant, Dieu notre Père, par ton Fils Jésus notre Seigneur , règne sur notre nuit, garde nos pensées, garde ceux que nous aimons, et donne au monde un peu plus de paix. Dans le silence, nous te redisons ce que ton Fils nous a laissé, comme un chant discret au bord du sommeil : Notre Père…
Amen.