
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
Samedi 5 avril 2025
28ème jour de Carême - Le lavement des pieds

De l'Evangile de Jean 13, 1-17
Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à l’extrême. Et pendant le repas, le diable ayant déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père avait tout remis entre ses mains, et qu’il était venu de Dieu et qu’il retournait vers Dieu, se lève du repas, dépose ses vêtements, et prenant un linge, il se ceignit. Puis il verse de l’eau dans le bassin, et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. Il vient donc à Simon Pierre. Celui-ci lui dit : « Seigneur, toi, me laver les pieds, à moi ? » Jésus lui répondit : « Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant, mais tu comprendras ensuite. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras jamais les pieds ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi. » Simon Pierre lui dit : « Seigneur, pas seulement mes pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Celui qui s’est baigné n’a besoin que de se laver les pieds ; il est tout entier pur. Et vous êtes purs, mais pas tous. » Car il savait qui allait le livrer ; c’est pourquoi il dit : « Vous n’êtes pas tous purs. » Lors donc qu’il leur eut lavé les pieds, qu’il eut repris ses vêtements et qu’il se remit à table, il leur dit : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous dites bien, car je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car je vous ai donné l’exemple, afin que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. Amen, amen, je vous le dis : un esclave n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. Si vous savez cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. »
MESSAGE
Alors que le Carême s'avance, qu’en ce 28ème jour nos pas se dirige vers Jérusalem, l’Évangile selon Jean nous introduit dans le silence dense d’un soir unique. Ce n’est pas encore l’heure de la Passion, mais tout y conduit déjà. Tout y est contenu en germe, condensé dans un geste, dans une parole, dans un regard. Avant même que le drame ne commence, notre Seigneur Jésus offre à ses disciples une parole silencieuse, faite d’eau, de linge, de genoux pliés.
« Il les aima jusqu’à l’extrême » Ces mots résume tout l’évangile. Ils contiennent une promesse, un accomplissement, une révélation. L’amour du Seigneur Jésus n’est pas une déclaration, c’est un acte. Il ne reste pas en surplomb ; il descend. Il ne parle pas d’en-haut ; il se met à genoux.
Mais cet amour extrême est aussi un acte de lucidité : « Jésus, sachant que son heure était venue… ». L’amour vrai ne se déploie pas dans l’illusion. Il connaît les heures, les trahisons, les reniements, les abandons. Il sait que celui-là va le livrer, que celui-ci va jurer n’avoir jamais connu. Et pourtant, il aime. Il aime en sachant. Voilà ce qui défie notre logique : l’amour humain, souvent, a besoin d’être rassuré, protégé, mérité. L’amour de Dieu, lui, embrasse ce qui est indigne, ce qui doute, ce qui fuit. Il embrasse avant.
Et c’est là le premier scandale du lavement des pieds : Dieu à genoux devant l’homme. Le maître qui devient esclave, le pur qui touche l’impur, le Seigneur qui prend le linge du serviteur. Ce geste est tellement insupportable à Pierre qu’il le refuse d’abord. Ce refus nous habite tous. Car nous préférons souvent un Dieu fort, un Dieu lointain, un Dieu qui commande — car cela nous laisse à distance, cela nous évite d’être touchés au plus profond.
Mais ce soir-là, notre Seigneur Jésus ne demande pas l’admiration. Il demande qu’on se laisse aimer, qu’on se laisse laver. C’est peut-être cela le plus difficile dans notre chemin de foi : accueillir un amour qui vient nous rejoindre là où nous sommes le moins présentables.
Le lavement des pieds, c’est Dieu qui vient laver ce que nous cachons. C’est l’humilité de Celui qui sait que la poussière du monde colle aux pieds de ceux qui marchent, et qu’il ne sert à rien de la nier. Il ne nous reproche pas nos salissures ; il les prend dans ses mains. Il ne nous fait pas honte ; il nous rend capables d’être accueillis.
Mais ce geste est aussi une transmission. Car notre Seigneur Jésus ajoute : « Je vous ai donné l’exemple… » Autrement dit : ce que je fais pour vous, faites-le à votre tour. Le service n’est pas une option morale. C’est la forme même de la vie chrétienne. Il ne s’agit pas de faire « des services », mais de devenir serviteur. Il ne s’agit pas de gestes ponctuels, mais d’un état intérieur, d’une disposition constante à la descente, au don de soi, à la rencontre de l’autre dans sa vulnérabilité.
Or, il y a une tentation spirituelle redoutable : celle de servir sans se laisser servir. De vouloir laver les pieds des autres, sans jamais accepter que quelqu’un touche les nôtres. Notre Seigneur Jésus brise cette illusion. On ne peut aimer véritablement que si l’on a accepté d’être aimé. On ne peut se pencher vers l’autre que si l’on a reconnu soi-même le besoin d’être relevé.
Ce passage n’est pas une simple préparation à la Passion : c’est un passage lui-même …un seuil… une Pâque… une mort symbolique… la mort de l’orgueil, du pouvoir, de la suffisance et déjà un germe de résurrection : la joie d’être aimé sans condition.
En ce 28e jour de Carême, la route se fait plus étroite, mais aussi plus lumineuse. Nous approchons du mystère. Et à mesure que nous nous rapprochons de la Croix, le Seigneur Jésus nous apprend que le sommet de la vie chrétienne ne se trouve ni dans la connaissance, ni dans la grandeur, mais dans un bassin d’eau tiède et un linge blanc.
A vous qui avez pris de la distance avec l’Église.
A vous qui lisez ces mots peut-être avec un brin de scepticisme, ou avec une blessure ancienne au cœur. À vous qui avez quitté les bancs de l’Église, ou qui n’y avez jamais vraiment trouvé votre place. Le Seigneur ne vous a jamais quittés. Il n’est pas resté dans les murs que vous avez laissés derrière vous. Il marche toujours, à vos côtés, sans fracas, sans reproche. Il attend, non pas que vous reveniez parfaits ou croyants, mais simplement que vous ouvriez une brèche. Un espace, aussi mince soit-il, où il pourra déposer un peu d’eau, un peu de douceur, un peu de vérité.
L’Église peut vous avoir déçus et parfois à raison. Elle a ses péchés, ses maladresses, ses oublis. Mais ne laissez pas l’imperfection des hommes vous priver de la beauté de Dieu. Le Seigneur Jésus, lui, continue de se pencher. Il connaît la poussière de vos chemins, les blessures de vos choix, les silences que vous portez. Il ne vient pas vous juger. Il vient vous laver. Il vient vous aimer. Jusqu’à l’extrême. Et si, aujourd’hui, en ce jour de Carême, vous osiez simplement lui dire : « Me voici » ? Rien de plus. Le Seigneur Jésus fera le reste.