Journal d'un catholique libertaire
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
(Marc 9, 35)

Un reportage d’Envoyé spécial qui inquiète plus qu’il n’éclaire
vendredi 26 septemble 2025

Le dernier Envoyé spécial consacré aux évangéliques prétendait lever le voile sur un phénomène religieux en pleine expansion. Mais au lieu d’informer, il a choisi la facilité du sensationnalisme : amalgames, caricatures et procédés douteux, jusqu’à filmer des croyants naïfs pour les transformer en symboles d’endoctrinement.
Suite à l’article du journal La Croix, j’ai regardé en différé le documentaire « Évangéliques, un succès pas si angélique » dans Envoyé spécial sur France 2.
Je connais un peu le milieu évangélique. J’ai déjà lu des articles, vu des documentaires à ce sujet. J’ai participé à une version catholique… que l’on appelle « Renouveau charismatique », avec tous ses ingrédients : prière de louange les bras levés, gesticulations du corps, acclamations, dévotions, chants et musiques rythmés, prophéties, prières de guérison dans une ambiance électrique de ferveur partagée. Personnellement, je n’ai jamais pu entrer dans cette pratique, si je puis l’exprimer ainsi. J’ai voulu regarder ce reportage attentivement, curieux de comprendre comment un mouvement religieux en plein essor en France pouvait être abordé. Je savais d’entrée de jeu que le format Envoyé spécial est souvent à charge, à la lecture de l’article du journal La Croix, mais je voulais avoir ma propre opinion. Je ne me suis pas trompé. Non seulement il a été construit sur un ton à charge, mais aussi sensationnaliste, monté pour brouiller la compréhension d’un phénomène religieux majeur.
Les évangéliques (d’obédience protestante) ne sont plus une minorité marginale. Ils seraient entre huit cent mille et un million deux cent mille fidèles en France. Un mouvement divers, éclaté en courants multiples, qui interpelle par sa croissance et mérite à ce titre une analyse sérieuse, informée, documentée. Or le choix d’Envoyé spécial est tout autre… comme je l’ai dit, concernant la religion, le service public est toujours à charge… mais réduire cette galaxie à quelques figures radicales, filmer des fidèles naïfs et transformer des convictions religieuses classiques – prière, louange, conversion, positions morales – en signes d ’endoctrinement, c’est non seulement caricatural, mais inquiétant pour la liberté de croire et pour la qualité de l’information.
Oui, des abus existent, il faut le dire. Oui, les « thérapies de conversion » sont interdites en France. Oui, il y a des pratiques graves et dangereuses. L’emprise spirituelle, la théologie de la prospérité ou encore certains discours sur la sexualité appellent une vigilance accrue. Mais fallait-il pour autant tendre des pièges aux croyants filmés à visage découvert, les duper et suggérer ensuite que toute Église évangélique est une secte ? Ce procédé interroge, car il dessert à la fois la vérité et les personnes manipulées par des dérives réelles.
À aucun moment un expert du protestantisme évangélique n’a été sollicité pour contextualiser, ce qui aurait permis de distinguer entre pratiques déviantes et expressions ordinaires de foi, et d’offrir au téléspectateur une compréhension réelle plutôt qu’un simple effet de mise en scène.
À aucun moment n’est rappelée la diversité d’un monde qui va des Églises issues de l’immigration africaine aux grandes communautés urbaines comme l’Église Martin Luther King (MLK) à Créteil. C’est-à-dire un paysage religieux foisonnant qui échappe par nature aux simplifications et aux amalgames. À aucun moment non plus n’est expliquée la logique interne de ce christianisme de conversion, où la lecture de la Bible, la prière quotidienne et l’évangélisation sont au cœur de la foi. Des pratiques certes déconcertantes pour un public détaché du religieux, mais qui relèvent de la liberté religieuse.
Le résultat est inquiétant : au lieu d’informer, ce reportage fabrique de la méfiance. Il stigmatise des croyants ordinaires et confond religion vécue et dérives sectaires. En amalgamant tout, il contribue à alimenter la suspicion générale vis-à-vis du fait religieux. Les gens ont besoin de vigilance, pas de caricatures, c’est-à-dire d’une critique lucide qui dénonce les abus sans mépriser la foi. C’est ce que j’ai ressenti : nous avons besoin de journalistes du service public capables de plonger dans la complexité du monde évangélique et d’en montrer les zones d’ombre sans en masquer la diversité. Sinon, nous risquons de répéter les travers médiatiques : transformer un sujet crucial en spectacle, au détriment de la vérité. Comme catholique libertaire, j’ai pris mes distances avec les institutions et je sais qu’une foi vécue ne se réduit pas à des dérives ni à des slogans. On ne combat pas les abus en ridiculisant les croyants, mais en les comprenant avec rigueur et exigence. C’est à cette condition seulement que la critique religieuse peut rester libre, juste et féconde.
Didier Antoine
Catholique libertaire insignifiant