Journal d'un catholique libertaire
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Marc 9, 35)

LOURDES (1/3) : Entre ferveur et économie
20 août 2025

Entre ferveur et mise en scène, la cité mariale oscille entre prières brûlantes et flux d’argent sonnant. Chaque 15 août, les foules affluent, porteuses d’espérance, mais confrontées au silence de Dieu et à l’opulence d’une machine bien huilée. Lieu de grâce pour certains, vitrine économique pour d’autres, Lourdes demeure un paradoxe troublant. Peut-être, au fond, n’est-elle que le miroir des quêtes et des blessures de chacun.
Ah Lourdes ! Ce nom qui résonne comme une promesse depuis cent cinquante-deux ans, lorsque le premier pèlerinage national fut organisé par les Assomptionnistes. Chaque 15 août, cette petite ville pyrénéenne devient un immense carrefour spirituel où se croisent les langues du monde entier… des visages marqués par la souffrance mais illuminés d’espérance. Des milliers de pèlerins venus des quatre coins du monde se pressent dans les ruelles, convergent vers la grotte de Massabielle… se mêlent aux processions de flambeaux qui illuminent la nuit.
J’y suis allé quatre fois : trois dans un cadre professionnel, comptable que j’étais, chargé de la gestion financière, et une dans une démarche personnelle. Je vous l’avoue : devant cette foule compacte, je n’ai jamais rien ressenti… Pas une petite émotion promise, pas la paix que d’autres disent avoir trouvée. Au contraire, j’ai ressenti un malaise… le sentiment d’assister à une mise en scène de la souffrance où l’espérance des plus fragiles se heurte à l’inexorable silence de Dieu. Que voulez-vous, je suis comme ça ! Dans ce silence, ce qui me bouleverse le plus, ce sont les visages tournés vers le ciel… ces mains qui viennent caresser les parois de la grotte… priant… espérant encore malgré tout, comme si une étincelle pouvait jaillir du néant. Cette persistance à croire… à attendre l’impossible me touche plus que tous les discours officiels.
Le sanctuaire génère des recettes… beaucoup d’argent. Certes, il faut entretenir le site, salarier le personnel… l’exploiter même (je sais de quoi je parle). Énormément d’argent entre dans les caisses. D’après des sources officielles et les journaux locaux, les offrandes des pèlerins représentent environ douze millions d’euros chaque année. En 2021, le résultat net positif était de 3,3 millions d’euros… rien que ça !
Le pèlerinage national du 15 août est organisé par les Augustins de l’Assomption, dits les Assomptionnistes… propriétaires de Bayard Presse (La Croix, Le Pèlerin, etc.). Une congrégation riche, sans problème d’argent… Et je peux vous garantir qu’ils ne sont jamais en déficit. Lourdes n’est pas seulement un sanctuaire spirituel, c’est aussi, et il faut avoir le courage de le dire… une puissance économique. Hôtels par centaines, même de luxe… avec jacuzzi et salle de fitness (Belfry & Spa by Ligne St Barth pour ne pas le nommer), commerces de cierges, de statuettes, de chapelets… restaurants (même gastronomiques)… agences de voyages en lien avec le monde entier. Des trains supplémentaires négociés avec les syndicats (pour les primes). Des vols aériens à Tarbes… des structures médicales parfois non conventionnées et toutes sortes de logistiques. Une ville entière vit de l’économie de la foi et de la souffrance des femmes et des hommes. Certains disent qu’il faut se réjouir qu’elle fasse vivre des familles, mais on peut s’interroger : où se trouve la frontière entre le service rendu aux pèlerins et l’exploitation de leur fragilité ? D’autant que cette économie ne repose pas sur un tourisme ordinaire, mais sur l’espérance des malades, des pauvres, de leurs proches et des exilés qui viennent chercher un signe.
À Lourdes, l’espérance se monnaie. Elle a un prix, et souvent ce sont les plus fragiles qui le paient. Et je me suis toujours demandé : si le Seigneur Jésus visitait Lourdes aujourd’hui, que penserait-il ? Aurait-il de la tendresse pour la foi simple des âmes ? Aurait-il de la colère pour les marchands d’espérance, et même pour le cléricalisme qui gère l’intérieur du sanctuaire avec ses satellites laïcs (associations et fondations) qui se partagent le gâteau ?
Le Seigneur Jésus, dans l’Évangile, renverse les tables des vendeurs du Temple. Mais à Lourdes, il trouverait sans doute des gestes d’amour authentiques, mais aussi un système qui risque d’étouffer l’esprit dans cette organisation… dans cette superproduction… et ses produits dérivés. Lourdes est une terre de prières mais aussi une vitrine économique. Entre la sincérité des croyants et la machine institutionnelle, le fossé s’agrandit. C’est ce paradoxe qui me met mal à l’aise… ce lieu de grâce et de commerce. J’ai été dans ma vie professionnelle comptable de deux institutions, une religieuse et l’autre laïque. Et curieusement, les deux ont des liens étroits avec Lourdes.
Chaque année à Lourdes, des chrétiens d’Orient viennent se recueillir. Pour eux, Lourdes n’est pas qu’un décor pieux ou un centre économique, c’est un refuge spirituel… un signe d’unité, une fidélité à Marie. Cette année, ils sont mis à l’honneur. Depuis Alep, Mossoul, Damas, Beyrouth et même Gaza… leur espérance, je l’avoue, me bouleverse. Je garde pour eux une tendresse particulière. Leur foi résiste au feu de l’épreuve. Ils viennent d’Églises blessées… souvent dispersées par l’exil… meurtries par la guerre et la violence. Et pourtant, dans leurs chants que je connais, dans leurs prières, on entend une force intérieure qui dépasse la douleur. Un pont entre l’Orient et l’Occident, que ce dernier reste trop souvent indifférent à franchir. Leur présence à Lourdes rappelle que la foi n’est pas seulement une affaire de rituels, mais de survie… de résistance… de fidélité… le cri d’un peuple qui refuse de disparaître, malgré l’exil, malgré les violences, malgré l’oubli. C’est une foi tenace, enracinée dans le sang de ses martyrs et dans la mémoire de ses Églises anciennes. En les voyant prier, on mesure combien la foi chrétienne peut être à la fois blessée et indestructible, fragile et invincible.
Lourdes est un paradoxe : un lieu de commerce et de grâce… d’expiation… de ferveur… de déception pour certains et de consolation pour d’autres. À Lourdes, je n’ai jamais trouvé ce que je cherchais. Peut-être que Lourdes est avant tout cela : le miroir de chacun.
Didier Antoine,
catholique libertaire insignifiant