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CHRONIQUE N°160

La sainteté n’est pas une affiche, au-delà du marketing, le silence de Dieu

vendredi 3 octobre 2025

Les saints ne sont pas des idoles à vénérer mais de simples témoins. Ils éclairent notre route, sans jamais remplacer l’Unique Sauveur. Leur rôle est de nous orienter vers le Christ, non d’attirer l’adoration sur eux-mêmes.

Voici le troisième volet de ma réflexion. Quand on regarde les figures de Pier Giorgio Frassati ou de Carlo Acutis, récemment canonisés, on sent bien la volonté de l’Église de parler aux jeunes. Pier Giorgio aurait eu cette année 124 ans (mort à l’âge de 24 ans). Carlo aurait eu trente-trois ans (mort à 15 ans). Le premier était étudiant en ingénierie, alpiniste, joyeux et engagé. Le second, étudiant, geek, passionné d’informatique et de jeux vidéo. Tous deux issus de la bourgeoisie italienne, de la classe supérieure. Deux images fortes réunies ensemble avec un siècle d’écart, en ce 7 septembre 2025, pour être canonisés : un saint avec son sac à dos, un autre avec son ordinateur portable. Belles images.


Mais derrière cette mise en avant, je perçois une stratégie de communication bien orchestrée. L’Église, confrontée à la désaffection des jeunes en Europe, cherche des figures qui leur ressemblent, qui parlent leur langage, même si Pier est mort il y a un siècle. C’est toutefois un jeune qui donne envie. La sainteté devient alors – c’est mon avis – un pur produit marketing : un modèle inspirant, bien calibré pour séduire une génération qui s’éloigne des sacristies. On choisit un visage souriant, une histoire frappante… bouleversante… quelques symboles immédiatement identifiables : un sac à dos pour dire l’aventure, un ordinateur portable pour dire la modernité, et l’on croit avoir trouvé la bonne formule pour rendre l’Évangile plus attractif. Mais en réduisant la sainteté à une image séduisante, elle devient un logo publicitaire plutôt qu’un chemin de vérité qui mène au Père. Et l’on insiste, on construit un récit bien étudié, diffusé sur les réseaux sociaux ou dans les rassemblements.


La sainteté n’est pourtant pas une affiche publicitaire : elle ne se transmet pas par la surface mais par la profondeur qui dérange, qui interpelle, qui m’invite à la conversion intérieure. C’est là, pour moi, que réside le danger : confondre l’appel brûlant du Seigneur Jésus avec une simple opération de communication… où les portraits sont dévoilés place Saint-Pierre. Est-ce légitime ? Pas forcément. Toute communauté religieuse a besoin de témoins visibles. Mais le danger est plus grand de transformer ces figures en slogans. On ne dit plus seulement : « Voici un jeune qui a vécu sa foi avec rigueur », on proclame : « Voyez, on peut être catholique et cool… connecté… et sportif », comme si la foi avait besoin de packaging moderne pour être audible. Regardez attentivement les vêtements du corps de Carlo et ses baskets, dans sa châsse de couleur sombre, qu’il n’a peut-être jamais portées… aux marques que je ne citerai pas. Si ce n’est pas du marketing, je me demande ce que c’est. Peut-être avez-vous une autre interprétation.


Ce qui me gêne, c’est que cette logique peut trahir le cœur du message. La sainteté n’est pas une opération de séduction, ni une image de marque. Elle n’est pas destinée à attirer comme un « spot publicitaire ». Elle est gratuite, elle se vit dans l’ombre. Chacun la reçoit comme un don de Dieu. Elle ne se programme pas dans une stratégie. La sainteté doit échapper au calcul humain et surgir là où l’amour se donne sans calcul. Elle n’a pas besoin de vitrines : elle est le rayonnement discret d’une vie habitée par l’Évangile. La sainteté ne brille pas comme un projecteur pour séduire les foules, elle ressemble plutôt à une lampe fragile portée au cœur de nos ténèbres, qui éclaire humblement ceux qui la croisent. Toute tentative de la transformer en produit fini finit par la trahir, car elle perd de sa vérité profonde. Elle ne doit pas s’ancrer dans le monde capitaliste ni se plier à ses logiques de rendement, de gloire et de profit. La sainteté ne se fabrique pas, elle ne s’emballe pas, elle ne s’écoule pas comme une marchandise. Elle est pure gratuité, signe d’un autre ordre que celui du marché. Et pourtant ! La sainteté n’appartient pas à l’Église institutionnelle, mais à Dieu seul, qui la fait fleurir dans le secret de nos vies simples et de nos cœurs ouverts. Pas besoin d’un label de Rome pour exister ni d’une reconnaissance officielle pour rayonner.


Alors oui, les jeunes Frassati et Acutis sont touchants, beaux, inspirants. Mais s’ils deviennent surtout des affiches de pastorale, des icônes de catéchèse, des produits dérivés, on perdra ce qu’ils avaient de plus précieux : leur simplicité, leur humilité, leur effacement. Car, au fond, aucun saint ne s’est levé le matin en disant : « Je veux être canonisé. »

L’essentiel, c’est que seul le Seigneur Jésus sauve, intercède pour nous, le seul qui nous conduit vers le Père. L’essentiel aussi, c’est la foule immense des témoins… juste des témoins invisibles : nos parents, en ce qui me concerne mes grands-parents, les jeunes fauchés trop tôt, les membres de nos familles et nos amis qui ont incarné, à leur manière, les Béatitudes. L’essentiel, c’est de comprendre que la sainteté n’a pas besoin d’une reconnaissance institutionnelle pour continuer d’exister dans notre esprit et dans notre cœur.


L’Église gagnerait peut-être à l’humilité de reconnaître qu’elle ne « fabrique pas des saints » : elle ne fait que mettre en lumière quelques visages. Mais l’immense majorité échappe à ses radars. Et c’est très bien ainsi, car le Royaume de Dieu n’est pas une galerie officielle. C’est un mystère de communion où chaque vie donnée, chaque prière discrète, chaque geste d’amour trouve sa place.


Alors oui, réjouissons-nous des jeunes Frassati et Acutis, et aussi des autres. Mais n’oublions jamais que les véritables saints ne sont pas seulement ceux dont les portraits ornent les autels. Ils sont à nos côtés, dans l’ombre, dans notre quotidien, dans le silence que seul Dieu entend.

Au terme de mes réflexions, une certitude demeure : la sainteté n’est pas une distinction humaine mais un don de Dieu. Les visages de Pier Giorgio et de Carlo nous rappellent que l’Évangile peut être vécu avec intensité à toutes les époques. Mais il ne faudrait pas oublier : aucun d’entre eux, si admirables soient-ils, ne peut prendre la place d’intercesseur de notre Seigneur Jésus. Il est l’Unique.


Les saints ne sont pas des idoles à vénérer, ni des figures intouchables qu’il faudrait placer sur un piédestal, mais de simples témoins qui nous éclairent par leur manière d’avoir vécu l’Évangile dans leur temps. Lire leurs parcours est souvent une joie et une inspiration, car ils nous montrent que la foi peut prendre chair dans des existences concrètes, marquées par leurs forces comme par leurs fragilités. Mais leur rôle s’arrête là : avec eux, nous avons fait de belles rencontres. Notre unique médiateur, notre seul intercesseur, demeure notre Seigneur Jésus, Fils de Dieu offert pour nous tous, crucifié et ressuscité. C’est en lui que nous prions, c’est par lui que nous sommes entendus, c’est à lui que revient l’adoration. Les saints nous accompagnent comme de simples frères. Nous croyons que notre Seigneur est au bout du chemin : c’est faux… il fait route avec nous. Dans cette route, les saints nous accompagnent mais restent humbles et discrets auprès du Seigneur.


Revenir à l’essentiel, c’est pour moi retrouver cette simplicité première : s’adresser directement à Dieu par son Fils, sans protocole étouffant, avec une conscience dépouillée, être des êtres petits comme des enfants. Les écrits des saints nous inspirent, mais ne remplacent jamais cette rencontre intime avec Jésus. Leur vie est belle. Évitons de les admirer comme des produits de consommation ou des modèles qu’on nous impose.


J’ai pris mes distances avec l’Église institutionnelle, fatigué de ses lourdeurs, de ses rejets, de ses compromissions, de ses abus, de ses logiques de pouvoir absolu. Je ne crois pas que la hiérarchie ait le monopole du sacré, ni que le langage officiel soit toujours fidèle à l’Évangile. Ma liberté intérieure, je la revendique comme celle d’un croyant qui n’accepte pas de voir l’essentiel confisqué. Je reste attaché à la foi, mais je refuse le carcan qui voudrait enserrer le souffle de l’Esprit dans des cadres étroits. Car au bout du chemin, il n’y a pas de galerie de portraits de saints officiels soigneusement choisis et estampillés, mais une seule Présence : le Seigneur Jésus vivant, l’Unique Sauveur. C’est uniquement vers lui que je me tourne. C’est de lui que je reçois gratuitement la Lumière dans ma vie… Lui seul me suffit. Et c’est peut-être là, dans la fidélité à notre Seigneur, contre toute logique marchande d’un culte, que se trouve le vrai visage de la foi : libre, dépouillée, radicale, profondément humaine et pleinement divine.


Didier Antoine

catholique libertaire insignifiant

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