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Canonisation 1/3 : la sainteté en vitrine ? Pourquoi canoniser un homme ou une femme ?

mercredi 24 septembre 2025

L’Église catholique vient de canoniser deux figures marquantes : Pier Giorgio Frassati et Carlo Acutis. Deux visages rayonnants, mis en avant comme modèles pour la jeunesse. Mais derrière la ferveur spirituelle et l’émotion des fidèles, une réalité moins glorieuse se profile : une canonisation est un « procès » coûteux, long, et réservé à ceux qui disposent de soutiens puissants. Alors, faut-il voir dans ces choix un signe de l’Esprit… ou l’effet d’un système où la sainteté dépend aussi de l’argent et de l’influence ?

L’Église catholique a canonisé le 7 septembre dernier deux jeunes : Pier Giorgio Frassati et Carlo Acutis.


Pier Giorgio est né en 1901 et mort en 1925. Jeune homme italien de Turin, issu d’une famille bourgeoise, son père était le directeur du grand journal La Stampa, centriste de gauche, libéral et progressiste modéré. Giorgio était passionné de montagne, de ski et d’alpinisme. Mais derrière cette image sportive et joyeuse, il y avait un engagement social et spirituel. Étudiant en ingénierie des mines, il consacrait beaucoup de temps à aider les pauvres, les malades et les marginaux de Turin. On dit qu’il passait ses soirées dans les quartiers populaires pour porter des vivres, accompagner des malades, chercher du charbon (nous sommes au début du XXᵉ siècle) pour les familles sans chauffage. D’après certains témoignages, ses amis le décrivaient comme quelqu’un de lumineux, à la fois simple et profondément ancré dans la foi.


Il a aussi été très engagé dans l’Action catholique et la Jeunesse catholique italienne, où il fréquentait des cercles politiques chrétiens et défendait une société plus juste. Ce qui le distinguait, c’est son refus de cloisonner foi et vie quotidienne. Pour lui, la montagne, le service des pauvres et l’Eucharistie étaient un seul et même chemin. Mort très jeune d’une poliomyélite foudroyante à 24 ans, il a laissé une trace étonnante et incontestable : des foules ont assisté à ses funérailles, surtout des personnes pauvres qu’il avait aidées, parfois sans que sa famille le sache. Jean-Paul II l’a béatifié en 1990.


Carlo Acutis, né en 1991 et mort en 2006 à 15 ans, est sans doute une figure qui bouscule bien des images traditionnelles de sainteté. Né à Londres mais grandi à Milan, il fut un adolescent « normal » de son époque, issu d’une famille bourgeoise italienne originaire de Lombardie. Son père est homme d’affaires dans le domaine financier et immobilier. Sa mère, Antonia Salzano, est écrivaine et auteure de nombreux ouvrages sur la foi chrétienne et la vie de son fils.

D’après les ouvrages qui lui sont consacrés, Carlo allait dès son enfance chaque jour à la messe, priait le chapelet et consacrait beaucoup de temps à témoigner de sa foi autour de lui. Il était passionné d’informatique, de jeux vidéo et de sport. Son originalité fut d’avoir utilisé très tôt l’outil numérique : il créa un site internet qui recense et documente les grands miracles eucharistiques dans le monde. On le surnomme aujourd’hui « l’influenceur de Dieu » ou le « geek de Jésus ».


Carlo est décrit comme très attentif aux plus fragiles : il aidait les sans-abri de son quartier, soutenait ses camarades en difficulté scolaire et insistait sur le fait que « chacun est appelé à être un original et non une photocopie ». À quinze ans, une leucémie fulgurante l’emporta. Ses parents racontent que, jusqu’au bout, il a offert ses souffrances pour l’Église et le pape.

Depuis sa béatification en 2020, le corps de Carlo est exposé dans la basilique Saint-François d’Assise en Italie. Des milliers de pèlerins, surtout des jeunes, viennent s’y recueillir chaque année. L’Église catholique le propose comme modèle d’une sainteté incarnée dans la culture numérique, où l’ordinateur devient une chaire et l’amitié un chemin d’Évangile.

L’Église nous présente donc deux trajectoires exemplaires, deux vies lumineuses, comme des modèles pour les nouvelles générations. Rien à redire sur le fond : leur foi, leur joie de vivre, leur service des pauvres ou leur usage inventif du numérique sont inspirants. Mais une question demeure : pourquoi eux et pas d’autres ? Pourquoi ces visages sont-ils choisis, mis en avant, reconnus par des procès officiels, alors que tant d’autres jeunes, tout aussi fervents, meurent dans l’anonymat, sans que leur mémoire ne dépasse jamais le cadre intime de ceux qui les ont aimés ?


Dans les familles chrétiennes comme dans la société, combien de jeunes meurent prématurément de maladies, de drames incompréhensibles, voire révoltants, en laissant derrière eux des témoignages de foi tout aussi solides, tout aussi bouleversants, mais condamnés à rester invisibles, confinés dans la mémoire intime de leurs proches ?

Dans nos mémoires personnelles, nous avons tous ces visages – une sœur, un frère, une cousine, un ami – dont la ferveur n’avait rien à envier à celle des « élus » de l’institution. Pourtant, leur nom ne franchira jamais les murs du Vatican. Et c’est très bien ainsi : car la sainteté ne se proclame pas, elle se vit. Et c’est souvent dans le secret qu’elle est la plus vraie.

La canonisation n’est pas seulement une reconnaissance spirituelle, c’est aussi une procédure lourde. On parle d’un « procès » en bonne et due forme, instruit par des postulateurs, avec des dossiers, des enquêtes, des commissions d’experts. Rien n’est laissé au hasard. Pour qu’un candidat soit canonisé, il faut qu’un malade ait eu un miracle en invoquant le futur saint. Chaque témoignage est vérifié, épluché. Les guérisons supposées sont passées au crible par des médecins et des théologiens. Et tout cela a un prix… un prix très élevé.

Le journal Le Monde, dans un article du 27 mars 2022, explique que le processus coûte cher : cent cinquante mille euros, voire bien plus. Un article du National Catholic Reporter de mars 2016 évoque une procédure typique autour de… tenez-vous bien : cinq cent mille euros (550 000 USD) pour une béatification ou une canonisation. Dans ce même article, il est dit que le pape François aurait adopté de nouvelles règles pour encadrer les finances liées aux procès de canonisation, après des révélations sur des abus et des coûts exorbitants. Désormais, les administrateurs de chaque cause devront rendre une comptabilité régulière, respecter l’intention des donateurs et répondre aux demandes de la Congrégation pour les causes des saints. Toute dérive pourra entraîner des sanctions disciplinaires.


Certains articles évoquent même des pots-de-vin – n’ayons pas peur des mots. Y a-t-il eu de véritables changements depuis ? Permettez-moi d’en douter. Cela me rappelle ce que me disait il y a quelques années le supérieur général de la Mission ouvrière Saints Pierre et Paul. Il avait tenté d’entamer une procédure concernant Jacques Loew, grande figure de l’Église : « Trop de temps et trop cher », m’avait-il confié. La congrégation a abandonné.

Alors, qui finance ? Les congrégations religieuses, les associations, les fondations puissantes ? Certaines sont capables de lever des fonds pour entretenir la mémoire du candidat. Derrière chaque futur saint, il y a un réseau bien huilé, une stratégie, voire une véritable campagne. La mère de Carlo Acutis a joué un rôle central dans la diffusion de la mémoire de son fils. Conférencière devenue figure publique, elle multiplie les rencontres, incite à écrire des ouvrages sur le parcours spirituel de son fils, attire la jeunesse. Elle déploie une énergie folle et fut très présente à toutes les étapes officielles de la béatification et de la canonisation.

Mais dans les faits, la cause dépend bel et bien de moyens financiers. Et si ce n’était pas le cas, le pape François n’aurait pas eu besoin de rappeler cette mise au point importante et visiblement nécessaire. Alors, d’où vient l’argent ?


Cette sélection interroge : la sainteté devient-elle une sorte de vitrine réservée à ceux dont la cause peut être soutenue financièrement et politiquement ? En mettant en avant quelques figures, aussi belles soient-elles, l’Église donne parfois l’impression que la canonisation est un privilège rare, presque un titre honorifique accordé à une élite.

Le débat reste ouvert. L’Évangile dit tout le contraire : « Heureux les pauvres… heureux les affligés… heureux les doux… heureux les affamés et assoiffés de justice… heureux les miséricordieux… heureux les cœurs purs… heureux les artisans de paix… heureux les persécutés pour la justice. »

C’est la foule immense et anonyme des artisans du quotidien qui est béatifiée par le Seigneur Jésus lui-même. On risque alors de passer à côté d’une vérité plus dérangeante mais plus universelle : la sainteté ne se décrète pas, elle ne s’officialise pas dans les murs du Vatican. Elle se vit au jour le jour, sans discours, sans cérémonies, invisible aux regards humains mais éclatante aux yeux de Dieu.


Pier Giorgio, Carlo et les autres canonisés ont leur beauté propre et leur rayonnement. Mais ils ne devraient pas faire oublier la multitude invisible de celles et de ceux qui, dans le silence des maisons, des hôpitaux, des ateliers, des quartiers pauvres, ont incarné la même fidélité et le même don de soi. Nous en connaissons tous autour de nous. Et Dieu sait qu’ils sont nombreux.


Réflexion : une Église vraiment ouverte ne devrait-elle pas les reconnaître d’une autre manière ?


A suivre :

CANONISATION 2/3 :  De la vox populi au pouvoir papal, histoire  du culte des saints

CANONOSATION 3/3 : L’Evangile contre le marketing, notre Seigneur Jésus l’Intercesseur unique.


Didier Antoine

Catholique Libertaire insignifiant

 

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