
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
Mardi 8 avril 2025
30ème jour de Carême - L'aveugle né

De l'Evangile de Jean 9, 1-41
Jésus vit un homme aveugle depuis sa naissance. Et ses disciples l'interrogèrent, disant « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui n’a péché, ni ses parents ; mais c’est afin que soient manifestées les œuvres de Dieu en lui. Il nous faut faire les œuvres de celui qui m’a envoyé, tant qu’il est jour ; la nuit vient, lorsque personne ne peut travailler. Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Ayant dit cela, il cracha à terre, fit de la boue avec la salive, et appliqua la boue sur ses yeux, et lui dit : « Va te laver dans la piscine de Siloé » — ce qui se traduit : Envoyé. Il alla donc, se lava, et revint voyant. Les voisins donc, et ceux qui auparavant l’avaient vu qu’il était mendiant, disaient : « N’est-ce pas celui-là qui était assis et mendiait ? » Certains disaient : « C’est lui ! » D’autres disaient : « Non, mais il lui ressemble. » Lui disait : « C’est moi. » Ils lui disaient donc : « Comment donc tes yeux se sont-ils ouverts ? » Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus fit de la boue, il me l’appliqua sur les yeux, et me dit : “Va à Siloé et lave-toi.” J’y suis allé, je me suis lavé, et je vois. » Ils lui dirent : « Où est-il, celui-là ? » Il dit : « Je ne sais pas. » Ils conduisirent aux pharisiens celui qui auparavant avait été aveugle. Or c’était un sabbat, le jour où Jésus fit de la boue et ouvrit ses yeux. Les pharisiens lui demandèrent encore comment il avait recouvré la vue. Il leur dit : « Il a mis de la boue sur mes yeux, je me suis lavé, et je vois. Certains donc des pharisiens disaient : « Cet homme n’est pas de Dieu, car il ne garde pas le sabbat. » D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il faire de tels signes ? » Et il y avait division entre eux. Ils disent donc encore à l’aveugle : « Toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. » Les Juifs donc ne crurent pas qu’il avait été aveugle et qu’il avait reçu la vue, jusqu’à ce qu’ils aient appelé les parents de celui qui avait recouvré la vue. Et ils les interrogèrent, disant : « Est-ce là votre fils, dont vous dites qu’il est né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ? » Ses parents répondirent et dirent : « Nous savons que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment il voit maintenant, nous ne savons pas ; ou qui lui a ouvert les yeux, nous ne savons pas. Interrogez-le ; il a de l’âge, il parlera pour lui-même. » Ses parents dirent cela, parce qu’ils craignaient les Juifs ; car les Juifs s’étaient déjà mis d’accord que, si quelqu’un confessait qu’il était le Christ, il soit exclu de la synagogue. C’est pourquoi ses parents dirent : « Il a de l’âge, interrogez-le. » Ils appelèrent donc une seconde fois l’homme qui avait été aveugle, et lui dirent : « Donne gloire à Dieu ; nous savons que cet homme est un pécheur. » Il répondit donc : « S’il est pécheur, je ne sais pas ; une chose je sais : j’étais aveugle, maintenant je vois. » Ils lui dirent donc : « Que t’a-t-il fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? » Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous encore l’entendre ? Voulez-vous, vous aussi, devenir ses disciples ? » Et ils l’injurièrent et dirent : « C’est toi qui es son disciple ; nous, nous sommes disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons d’où il est. L’homme répondit et leur dit : « Voilà bien l’étonnant, que vous ne sachiez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux. Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs ; mais si quelqu’un est pieux et fait sa volonté, celui-là, il l’écoute. Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. Si celui-là n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils lui répondirent et dirent : « Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes, toi ? » Et ils le chassèrent dehors. Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé dehors, et le trouvant, il lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Il répondit et dit : « Et qui est-ce, Seigneur, afin que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu l’as vu ; et celui qui te parle, c’est lui. » Il dit : « Je crois, Seigneur. » Et il se prosterna devant lui. Et Jésus dit : « C’est pour un jugement que je suis venu dans ce monde : afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Certains des pharisiens qui étaient avec lui entendirent cela et lui dirent : « Nous sommes aveugles, nous aussi ? » Jésus leur dit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais maintenant vous dites : “Nous voyons.” C’est pourquoi votre péché demeure. »
MESSAGE
Nous marchons à présent sur la dernière portion du désert, cette longue traversée du Carême où les silences de Dieu creusent en nous le désir du ressuscité. En ce trentième jour, l’Évangile nous met face à un aveugle-né, un homme que tout le monde avait fini par oublier, classer, marginaliser. Son infirmité était devenue sa seule identité. Mais le Seigneur Jésus, lui, voit autrement.
Le Seigneur ne demande rien à cet homme, il ne lui propose même pas une guérison. Il agit librement, dans une initiative purement divine. Et voilà que l’argile de la terre mêlée à la salive vient redessiner son visage, comme une création nouvelle. Dieu, qui façonna l’homme au commencement, refait ici le geste originel : l’aveugle est re-créé. Mais la guérison n’est pas immédiate. Il faut encore qu’il aille se laver à Siloé, ce nom qui signifie Envoyé. Il y a là une image forte du chemin de la foi : ce n’est pas la clarté qui précède l’obéissance, c’est l’obéissance qui ouvre les yeux. Il obéit, sans comprendre, sans voir, et c’est dans cette obéissance qu’il reçoit la vue.
L’homme est transformé, mais autour de lui, personne ne veut le reconnaître. Sa guérison dérange, elle trouble l’ordre établi, elle gêne les schémas religieux. Et alors commence pour lui une autre épreuve : celle du rejet. Il est guéri, oui, mais il est aussi jugé, interrogé, exclu. Les chefs religieux refusent de croire ce qu’ils voient, parce qu’ils ont peur de ce que cela signifie. Ils connaissent la loi, mais leur cœur est aveuglé.
Dans une ironie bouleversante, c’est l’ancien aveugle qui devient voyant, et ceux qui se croyaient voyants qui révèlent leur cécité spirituelle. La vraie lumière ne s’impose pas aux yeux, elle se reçoit dans le cœur. Notre Seigneur Jésus ne guérit pas seulement un homme d’une infirmité : il révèle le drame plus profond de ceux qui pensent déjà voir, de ceux qui n’ont plus besoin d’être sauvés.
C’est ce paradoxe qui nous rejoint sur la route vers Pâques. Sommes-nous prêts à reconnaître notre besoin de lumière ? Acceptons-nous d’être lavés dans l’eau de l’envoyé, quitte à remettre en cause nos certitudes ? Ou préférons-nous rester dans l’ombre rassurante de nos convictions bien rodées ?
À vous qui avez pris vos distances avec l’Église, à vous qui avez été blessés, oubliés, ou simplement lassés… peut-être vous reconnaissez-vous dans cet aveugle solitaire, assis au bord de la route, tandis que d’autres débattent de votre sort sans jamais vraiment vous voir. Sachez-le : le Seigneur Jésus vous voit. Il ne vous demande pas d’avoir la foi parfaite, ni d’être au bon endroit, ni de tout comprendre. Il vient vers vous, là où vous en êtes, là où vous en êtes. Et peut-être qu’en ce jour, c’est lui qui façonne en silence cette argile de tendresse et de vérité sur votre vie. Il n’est jamais trop tard pour revenir vers la lumière. Il n’est jamais trop tard pour entendre cette voix qui vous dit simplement : « Va, lave-toi, et tu verras. » Vous n’avez pas à tout croire d’un coup. Vous avez seulement à faire un pas.
Peut-être, comme l’homme de l’Évangile, vous direz bientôt vous aussi : « Je ne sais pas tout, mais une chose je sais : j’étais aveugle… et maintenant je vois. »
Bonne route vers Pâques
Didier Antoine