
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
Mardi 29 avril 2025
10ème jour de Pâques

De l'Evangile de Matthieu 6, 9-15
Jésus disait à ses disciples : Vous donc, priez ainsi : « Notre Père, celui qui est dans les cieux, que soit sanctifié ton nom, que vienne ton règne, que soit faite ta volonté, comme dans le ciel, aussi sur la terre. Donne-nous aujourd’hui le pain nécessaire de ce jour. Et remets-nous nos dettes, comme aussi nous avons remis à nos débiteurs. Et ne nous fais pas entrer dans l’épreuve, mais délivre-nous du mauvais. Car si vous pardonnez aux humains leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux humains, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes. »
MESSAGE
Lorsque notre Seigneur Jésus dit : « Vous donc, priez ainsi… », il ne propose pas un modèle abstrait ni une formule magique. Il nous initie à une manière d’exister, tournée vers Dieu, vers les autres, et vers nous-mêmes dans notre vérité. Ce texte, si souvent récité, mérite d’être écouté à nouveau, comme pour la première fois, dans sa profondeur insoupçonnée.
Notre Père, celui qui est dans les cieux
« Notre Père » évoque la proximité, la relation, mais aussi l’origine, la source. Il ne s’agit pas d’un père distant, mais du fondement de notre être. Il est notre père et non pas seulement le mien. Dès les premiers mots, la prière décentre. Elle arrache du repli individuel pour ouvrir à la communion des croyants.
Les « Cieux » ne sont pas un lieu géographique, mais le domaine de Dieu, ce qui transcende, ce qui échappe à notre emprise. Prier ainsi, c’est reconnaître que notre vie a une origine plus haute, plus libre, que ce que le monde propose.
« Que ton nom soit sanctifié »
Ce n’est pas nous qui sanctifions le nom de Dieu, mais nous demandons que son nom soit reconnu comme saint dans nos vies. Le mot grec ὄνομα (onoma) signifie aussi « réputation », « essence ». Sanctifier le nom de Dieu, c’est vivre d’une manière qui révèle sa présence. Il s’agit moins d’un hommage verbal que d’une manière d’exister en vérité.
« Que vienne ton règne »
Ce n’est pas un empire visible. Elle désigne la souveraineté de Dieu, son agir en ce monde, souvent discret, comme une graine semée en terre. Prier pour qu’elle vienne, c’est nous ouvrir à son mouvement. Ce n’est pas un futur lointain, c’est une venue déjà à l’œuvre, en nous, autour de nous, si nous sommes attentifs.
« Que ta volonté soit faite »
Cela évoque une naissance, un surgissement : « que ta volonté advienne », « qu’elle naisse ici ». Et cette volonté n’est pas un caprice divin, mais ce qui fait vivre, ce qui restaure, ce qui sauve. Comme dans le ciel… dans le monde divin… qu’il en soit ainsi sur la terre : que ce monde devienne transparent à la volonté d’amour.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de l’essence, de la substance.
Ce verset reste mystérieux. Le grec ἐπιούσιος (epiousios) est un mot rare, peut-être forgé par l’évangéliste. Il peut signifier : nécessaire, essentiel, de ce jour, ou même du lendemain. Mais il y a une racine d’essence… de substance… d’existence. Il évoque ce dont nous avons besoin pour vivre aujourd’hui, pas seulement le pain matériel, mais aussi la Parole, la présence, la consolation, la force pour continuer.
Remets-nous nos dettes
Le mot grec ὀφειλήματα (opheilēmata) parle de dettes, mais dans un sens plus existentiel que financier. Il s’agit de tout ce que nous avons omis d’être, de faire, de donner. Nous portons tous des dettes, des absences, des blessures causées. Le pardon de Dieu n’est pas une abstraction morale : c’est une libération, une remise de fardeau.
Mais cette remise est liée à notre propre manière de remettre : comme nous aussi avons remis à nos débiteurs. Cela ne veut pas dire que Dieu attend notre perfection pour nous pardonner. Cela signifie que l’accueil de son pardon ouvre en nous la capacité de relâcher, de ne plus retenir contre l’autre ce qu’il nous doit.
Mais soyons clairs et justes : le pardon est parfois une montagne que l’on ne peut pas encore gravir. Lorsqu’on a subi de terribles violences sexuelles, corporelles, psychiques… des rejets et des humiliations lorsque le corps, le cœur ou l’âme ont été brisés, il est humainement presque impossible de pardonner.
Dieu le sait. Il ne nous presse pas. Il ne nous juge pas. Il voit que pour vous, ce pardon est encore de la douleur. Il ne vous demande pas de forcer votre cœur, mais de lui remettre cette impossibilité. Dites-lui simplement : « Seigneur, je ne peux pas pardonner… mais je te confie cette blessure. C’est toi qui vois, c’est toi qui guéris. »
Le pardon n’est pas oublier, ni excuser, ni nier la gravité. Le pardon, quand il vient, vient de plus loin que nous. En attendant, remettez à Dieu le poids de ce que vous ne pouvez porter seul. Il le portera avec vous.
Ne nous fais pas entrer dans l’épreuve
Ce n’est pas Dieu qui tente, mais sans sa force, nous pourrions être engloutis. Nous prions pour ne pas être livrés à l’épreuve sans lumière.
Mais délivre-nous du mauvais
le mal en général ou le malin, la force opposée à Dieu. Nous demandons à être tirés, arrachés, à ce qui nous détruit.
A vous qui avez quitté les bancs de l’Église, à vous dont le cœur s’est éloigné ou refroidi, à vous qui ne priez plus ou qui doutez que cela ait un sens : cette prière vous est encore adressée. Non pas comme un devoir, mais comme une respiration possible.
Vous n’avez pas à revenir à des rites vides ni à des institutions figées. Vous êtes appelés à revenir au Père non pas un juge lointain, mais une source, une origine, un regard qui ne vous a jamais quitté. Ce « Notre Père » ne vous réclame rien d’autre que d’ouvrir vos mains vides.
Et si votre vie a été traversée par des violences, des abandons, des injustices graves, sachez que Dieu n’est pas indifférent. Il n’est pas complice du mal. Il en souffre avec vous. Et si vous ne pouvez pas encore croire, pardonner, espérer… il vous attend là où vous êtes, là où vous en êtes.
Revenez, non pas à un système, mais à une voix. Elle ne crie pas. Elle dit simplement :
« Toi aussi, tu peux dire : Père. Même si tu le dis en larmes. Même si tu le dis dans le silence. »