top of page
Écouter la douleur : quand la colère d'une veuve révèle les fractures de notre société

Page publiée le 9 septembre 2024

C’est avec un écœurement infini que j’observe les torrents de haine déversés sur la veuve d’Éric Cormyn, ce gendarme assassiné dans l’exercice de ses fonctions par un individu dont le parcours criminel aurait dû alerter depuis bien longtemps.

Loin d’un simple fait divers, ce drame devient le théâtre d’une profonde fracture morale, il faut le dire, au sein de notre société. Une fracture où la voix des victimes est souvent étouffée, et en aucun cas (dans l’affaire de la veuve d’Éric Cormyn) elle ne doit rester silencieuse. Cette veuve devait se taire et surtout ne pas exprimer sa colère. Peut-on concevoir qu’une femme, arrachée à son époux par la violence et l’injustice, doive être réduite au silence ? Cette mère, qui porte avec une dignité poignante le poids de sa perte et celui de ses enfants, a exprimé — ne nous voilons pas la face — ce que beaucoup de Français ressentent, avec une sincérité honnête qui vient du plus profond de ses entrailles. Et c’est là que cela dérange, car la très grande majorité de nos concitoyens l’approuvent. Sa colère ne mérite-t-elle pas d’être entendue ? Certes, ses propos ont pu heurter certains, mais pas moi. Et quand bien même m’auraient-ils heurté… c’est un scandale d’y répondre par des propos haineux.


Devons-nous infliger à cette femme meurtrie, qui a tout perdu, l’humiliation d’une vindicte publique sur les réseaux sociaux ?


Lors d’un procès d’assises, l’avocat de la partie civile n’intervient pas directement sur la peine à infliger à l’accusé (ce rôle est réservé au procureur), mais il peut toutefois influencer le tribunal par ses arguments en insistant sur les souffrances et le traumatisme de la victime. La haine proférée sur les réseaux sociaux enfoncera davantage l’accusé au moment du procès. Les haineux sont vraiment des imbéciles.


Il est trop facile de juger ceux dont la peine dépasse les bornes (selon les haineux) et notre propre compréhension. L’assassin a plus que dépassé les bornes. Il a envoyé un homme à la mort.


En tant que chrétien catholique libéral, je ne peux m’empêcher de me demander : où est passée notre compassion envers les victimes ? Où est cette charité que nous professons ? Celle qui nous pousse à embrasser le désespoir de nos sœurs et de nos frères… Si la foi que je porte m’a éloigné de l’Église institutionnelle, elle m’a aussi rapproché de ce qui compte : l’amour, la compassion et la justice, même envers ceux qui sont éloignés de l’Église… Les fidèles restent trop dans leur catosphère.


J’ai écouté cette veuve et j’ai essayé, sans difficulté, de comprendre le poids de sa douleur. Je n’ai jamais prétendu que la justice des hommes était parfaite. Mais force est de constater qu’elle permet aux criminels endurcis de circuler librement. Que faisait-il encore avec un permis en poche ? Pourquoi lui avoir donné un titre de séjour après des délits graves ? Peut-on débattre de cela dans notre pays ? Si je décide de m’installer dans n’importe quel pays du monde, dès mon premier délit grave, mon titre de séjour serait annulé sur-le-champ. Si je suis reconnu coupable, je serais expulsé immédiatement. Et dans certains pays, je resterais à croupir en prison pendant des années tant que mon pays n’aura pas fait une demande d’extradition.


Comment concilier notre engagement chrétien à la protection de l’autre, au nom de la dignité humaine, avec la négligence qui mène à de telles tragédies ? Ce ne sont pas la veuve et les enfants d’Éric Cormyn qui sont en colère et qui pleurent, mais tout un pays qui cherche des réponses à une justice trop souvent faillible. Toutefois, la réponse ne réside pas dans la violence des mots. Car c’est bien là le problème de notre époque… Nous confondons débat et anathème… Nous troquons l’empathie contre la condamnation. Ceux qui ne sont pas d’accord avec cette veuve ont le droit de le dire. Mais nous avons aussi le devoir d’accueillir son cri, son désespoir avec respect et décence.


Ma foi chrétienne n’a de sens que si elle est tournée vers l’autre… surtout vers ceux qui souffrent, même si nous ne partageons pas leur opinion. La foi n’est pas un bouclier contre la complexité de ce monde, elle est une invitation à plonger dans ses contradictions avec un amour inconditionnel pour le prochain. En tant que catholique libéral, j’ai choisi de me placer invariablement du côté des victimes, par fidélité à un principe fondamental : celui de la compassion. Je ne prétends pas que le chemin est facile… car il n’est pas simple de tendre la main à celui ou à celle qui hurle de douleur, de comprendre les mots d’une mère, d’une épouse accablée par la colère. Mais c’est pourtant ce que notre humanité, et plus encore notre foi, nous appelle à faire… La haine ne construit rien, elle ne guérit pas. Il ne faut pas confondre haine et colère. La colère est une réaction immédiate, la haine est une imprégnation pernicieuse. Si la colère est une étincelle, la haine est un feu qui consume. Seules la vérité, le dialogue et l’amour peuvent encore nous relever. Que notre société retrouve le chemin de la charité et de la tolérance. Que nous sachions écouter avec le cœur, car derrière une colère se cache toujours une personne qui souffre.


Didier Antoine

© catholiquelibertaire.com 2024-2028
bottom of page