
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
Mon petit frère

Cela fait maintenant quatre mois que tu nous as quittés. Quatre mois de vide, de silence, d’incompréhension. Quatre mois que je parle dans le vide en espérant, peut-être, que quelque part tu m’entends. Tu es parti en six mois à peine. Une brutalité à laquelle rien ne prépare. Et tu n’avais que 55 ans… Si jeune.
Je me revois, à sept ans et demi, petit garçon fils unique qui rêvait d’un petit frère. J’étais triste. Et ce jour-là, quand nos parents m’ont annoncé que tu allais naître, j’ai cru que le Ciel m’exauçait. J’étais le plus heureux des petits garçons du monde. Mais à l’époque, on ne savait pas si ce serait un garçon ou une fille. Je revois encore mon copain Régis qui me disait : « J’espère que ce sera pas une fille, les petites sœurs sont cafteuses !" Une bêtise d’enfant, mais à l’époque, ça m’avait marqué.
Et puis tu es arrivé. Et j’ai su que j’étais enfin grand frère. Un vrai cadeau.
Aujourd’hui, j’ai 63 ans. Et toi, tu n’es plus là.
Je suis anéanti.
Tu es parti en laissant une femme admirable, et deux enfants en or. 24 et 18 ans… Trop jeunes pour perdre leur père. Quelle saloperie de maladie, encore une. Comme si la souffrance était une vieille amie de notre famille.
Tu te rappelles ? Toute cette vie, on l’a traversée côte à côte, parfois à genoux. Enfants cabossés. Adolescents marqués. Ce père qui nous a abandonnés. Cette mère, notre mère… engloutie dans l’alcool et la dépression. Elle n’a pas tenu. Tu as été placé chez les Orphelins Apprentis d’Auteuil. Moi, j’étais presque adulte. Et notre père, lui… il avait refait sa vie avec une femme et son enfant de mon âge... sans toi… sans nous.
Toi, tu as pardonné à notre père. Moi, j’ai essayé. Je cherche encore comment.
Et maintenant, tu es parti les rejoindre. Maman, qui a tant souffert. Le père, sans commentaire. Et surtout nos grands-parents maternels, ces piliers qui nous ont maintenus debout quand le sol s’effondrait sous nos pieds. Sans eux, honnêtement… je ne sais pas ce que nous serions devenus.
Quand je repense à notre enfance, je me dis qu’il y avait là, dans ce chaos, une forme de grâce. La foi m’a fait tenir. Je me suis convertit à l’âge de vingt ans. Une foi simple, celle qui pousse à tenir quand tout pousse à tomber. Celle qui console quand plus personne ne peut le faire.
Je crois en Dieu. Je ne crois plus trop en l’Église, ou du moins pas en ce qu’elle est devenue. Trop de mots, pas assez d’actes. Trop de distance, parfois, avec nos douleurs bien humaines. Mais je crois en quelque chose de plus grand que nous. Et je crois que tu es là, quelque part, dans la lumière. Avec eux. Et que tu n’as plus mal. Que tu es enfin en paix.
On était si proches, toi et moi. Deux coups de fil par mois, minimum. Une sorte de rituel. Un fil invisible entre nous. Ce fil s’est rompu. Mais moi, je continue de te parler. Je parle dans le silence. Je parle en priant à ma façon. Et parfois, j’ai l’impression que tu es là… dans une pensée… un rêve... une musique. Un rayon de soleil inattendu. Tu me manques.
Pourquoi es-tu parti si vite ?
Tu me disais, peu avant de partir, que tu n’avais pas eu de chance dans la vie. Peut-être que tu avais raison. Mais regarde ce que tu as construit : une femme merveilleuse. Des enfants magnifiques. Tu leur as donné tout ce que tu n’avais pas reçu. Et rien que pour ça, tu as réussi. Je connais beaucoup d’hommes qui auraient voulu avoir cette chance.
Je pense à toi tous les jours. Tous les soirs. Je parle de toi à Dieu, parfois dans la colère, parfois dans la tendresse. Il me reste cette espérance, même vacillante, même abîmée : celle de te retrouver un jour. Là-haut, ailleurs, autrement. Je n’ai pas besoin de savoir exactement comment. Je me contente de croire.
Tu me manques terriblement, frangin… mon petit frère.
Je t’aime. Et je te confie à Celui qui, j'en suis convaincu, t’a accueilli les bras ouverts.
Ton grand frère.