
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Marc 9, 35)
LITURGIE

Pentecôte : Ceux qu’on ne voit plus à l’église portent toujours ce feu en eux
Samedi 7 juin 2025
Nous nous sommes éloignés des formes, mais non de la flamme. L’Esprit parle encore en nous, dans le silence, la fidélité et l’amour discret.
Il y a cinquante jours, on célébrait la Pâque. Pour les Juifs, le passage hors d’Égypte. Pour les chrétiens, celui de la mort à la vie. Et aujourd’hui, la Pentecôte. Ce mot latin, qui veut dire « cinquantième », masque un mot hébreu : Shavouot (les Semaines)... Sept fois sept jours après la sortie d’Égypte, les premières moissons… et une rencontre au sommet : celle d’un peuple libre avec un Dieu qui lui offre ses paroles.Oui, avant d’être l’histoire des apôtres en feu, la Pentecôte est l’histoire du peuple juif en marche.
Je prends ma plume, car je fais partie de ceux qui croient sans obéir à une hiérarchie religieuse… de ceux qui aiment le Seigneur Jésus… qui ont pris leur distance avec l’Église. Et c’est peut-être ce recul qui m’a permis d’y voir plus clair : la Pentecôte n’est pas une rupture. C’est un relais, une continuité entre la première Alliance et la seconde, entre la voix du Sinaï et le souffle de Jérusalem, entre la Loi donnée et l’Esprit reçu. Une promesse qui change de forme, mais non de cœur.
Au désert, Moïse monte sur la montagne. Le peuple attend. Et ce qu’il reçoit, ce n’est pas un temple, ni une armée, ni des dogmes. C’est une voix, une loi, une alliance : « L’Éternel descendit sur le mont Sinaï, au sommet de la montagne. L’Éternel appela Moïse à y venir, et Moïse monta » (Exode 19–20). Une alliance solide de liberté. Un Dieu qui ne se donne pas en statue, mais en parole : « Maintenant, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples, car toute la terre est à moi » (Ex 19, 5).
Shavouot, ce jour-là, devient la fête du don de la Loi. Ce n’est plus seulement la terre qui donne son fruit, c’est Dieu qui donne sa Parole. Et c’est dans ce souffle-là que la Pentecôte chrétienne vient s’inscrire.
Jérusalem devient ainsi l’écho du Sinaï. Des siècles plus tard, à Jérusalem, les disciples sont réunis après la mort et la résurrection de notre Seigneur Jésus : « Quand le jour de la Pentecôte arriva, les disciples étaient tous ensemble au même endroit » (Actes 2, 1). Pas dans un temple, mais dans une pièce haute, retirée. Ils ne montent pas sur une montagne : c’est l’Esprit qui descend. Un bruit, des langues de feu, et cette chose incompréhensible : ils parlent toutes les langues.
Mais ce n’est pas un prodige gratuit. C’est l’accomplissement de ce que le prophète Joël annonçait déjà : « Je répandrai mon esprit sur tous les êtres humains : vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des rêves, et vos jeunes gens des visions » (Joël 3, 1). Et c’est aussi l’accomplissement de la promesse du Seigneur Jésus, juste avant sa Passion : « Vous recevrez une force, celle de l’Esprit Saint » (Actes 1, 8).
À Jérusalem comme au Sinaï, Dieu parle. Mais cette fois, à travers eux. Une loi écrite non sur des pierres… mais sur les cœurs.
Ce que Moïse reçoit, les apôtres le vivent désormais en feu vivant dans leur poitrine. Et cela aussi, Paul l’a compris : « Vous êtes une lettre du Christ, écrite par notre ministère, non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant » (2 Co 3, 3).
Cette deuxième alliance, ce n’est pas une table de la Loi à brandir comme un étendard ou un bouclier… c’est une vie intérieure à laisser s’épanouir. Et c’est là que moi, catholique libertaire, je reprends souffle… moi qui ai été viré comme un moins que rien d’une institution.
Car à force de sacraliser les structures, l’institution a parfois oublié que la Loi n’est pas une cage, mais un élan. Que l’Esprit Saint n’est pas réservé à ceux qui cochent les bonnes cases, ces supérieurs qui font la pluie et le beau temps dans les institutions, mais donné à tous ceux qui écoutent les enseignements de notre Seigneur Jésus et qui les mettent en pratique là où ils sont, là où ils en sont.
Si je suis en retrait de l’Église, ce n’est pas par fierté ni par flemme. C’est parce que j’y cherche le feu plus que la forme, la voix plus que le volume des assemblées. Et aujourd’hui, je l’entends encore, cet Esprit, dans mes silences, mes soupirs, mes méditations, dans ma sphère privée, mes gestes minuscules d’amour, dans la tendresse que je n’avais pas prévue, dans la lumière qui traverse mes doutes. L’Esprit ne crie pas, il souffle et ce souffle suffit à me tenir debout.
La Pentecôte, ce n’est pas la naissance d’un ordre religieux. C’est la relance d’une aventure. Une promesse ancienne, reprise et élargie. Une parole offerte, puis incarnée.Une alliance écrite d’abord sur des pierres, aujourd’hui sur des visages. Et parfois, ces visages sont ceux qu’on ne voit plus dans les églises.
Vous qui avez quitté les bancs de l’institution mais pas l’appel du cœur, sachez que vous n’êtes pas seuls. Vous n’êtes pas « hors de l’Église », car l’Église, si elle est vraiment le Corps du Christ, ne se limite pas aux murs consacrés ni aux voix officielles. Elle se prolonge dans vos silences, vos fidélités discrètes, vos luttes spirituelles tenues à l’écart des projecteurs.
Peut-être n’entrez-vous plus dans une église, mais vous portez en vous une chambre haute, retirée, dans votre sphère privée. Peut-être ne récitez-vous plus les formules, mais vous gardez vivante une prière, une mémoire, une soif. Peut-être avez-vous mis les rites de côté, mais pas l’amour du Seigneur Jésus, ni la flamme qu’il a un jour allumée en vous. L’Esprit n’est pas resté enfermé derrière les vitraux.Il vous rejoint dans vos cuisines, vos marches solitaires, vos lectures habitées, vos mains tendues. Il parle votre langue. Il comprend vos doutes. Il honore votre solitude.Et il vous envoie peut-être pas au loin… mais là, dans votre cercle, dans votre quotidien, comme témoin discret de la Lumière.
Nous sommes encore de la Pentecôte. Nous avons encore ce feu en nous.