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PAUVRETÉ

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La journée des personnes pauvres, pas des pauvres

Page publié le 19 novembre 2024

En célébrant une 'Journée mondiale des pauvres', ne risquons-nous pas d’enfermer ces femmes, ces hommes et ces enfants dans une étiquette réductrice, oubliant qu’ils sont avant tout des êtres humains porteurs d’espoirs et de dignité ?

Je me souviens de la première fois que j’ai entendu parler de cette première Journée mondiale des pauvres. À l’époque, en 2017, j’avais émis des réserves sur son déroulement, sur l’idée de faire entrer des pauvres du parvis jusque dans l’église… leur donner la première place. L’intention était louable, mais que fait-on des familles, des enfants, des personnes âgées… toutes ces personnes recluses chez elles ? 


La motivation principale derrière la création de la « Journée mondiale des pauvres » par le pape François est d’encourager les chrétiens à mettre en pratique la charité et la solidarité envers les personnes vivant dans la pauvreté, conformément à l’Évangile. Cette initiative s’inscrit dans la mission fondamentale de l’Église : témoigner de l’amour de Dieu pour les plus démunis. 


Chaque année, cela me fait le même effet… Ces mots, « Journée mondiale des pauvres », sonnent mal à mes oreilles, comme un raccourci brutal, limite condescendant. On dirait qu’on enferme des êtres humains dans leur condition, comme si leur dignité se résumait à leur dénuement. 


Je le dis avec le cœur et peut-être un peu de colère : les pauvres ne sont pas « que » des pauvres. Ils sont avant tout des personnes, des femmes et des hommes, avec leurs noms, leurs rêves, leurs failles et leur lumière, comme tout un chacun. La pauvreté n’est qu’une facette, souvent injuste, parfois insoutenable, mais sûrement pas leur identité tout entière ! Alors chaque année, quand je vois l’Église, notre Église, organiser cette journée, je m’interroge : où est l’humanité dans cette appellation ? Quand parlerons-nous enfin de la « Journée mondiale des personnes pauvres » ? Quand la dignité prendra-t-elle le pas sur l’étiquette ? 

En France, la situation des enfants sans abri est alarmante. Dans le journal Vingt Minutes de cet été, mais aussi Le Monde, un rapport de l’Unicef France et de la Fédération des acteurs de solidarité (FAS), publié le 29 août 2024, révèle qu’au moins 2 043 enfants, dont 467 âgés de moins de 3 ans, ont passé la nuit du 19 au 20 août sans solution d’hébergement, malgré les demandes effectuées au 115. 


Le visage de la pauvreté aujourd’hui, c’est aussi celui des mères qui comptent chaque centime pour nourrir leurs enfants, mais qui elles-mêmes s’effacent du calcul. Ce sont ces femmes qui, après avoir préparé un repas modeste pour leurs familles, sautent le repas du soir. Le sacrifice est silencieux, leur douleur invisible, mais elle est bien réelle. 


Ce sont aussi des travailleurs et des travailleuses pauvres… tous les oubliés des statistiques. Oui, ils ont un emploi, mais avec des salaires fragmentés, des contrats précaires ou des heures insuffisantes… ils ne parviennent pas à franchir le seuil de la dignité économique. Ce sont ces hommes et ces femmes qui, malgré tout, affichent un visage fier dans notre société, mais qui s’effondrent dans l’intimité de leur foyer, écrasés par le poids des factures, des loyers impayés et des choix impossibles tels que chauffer leur logement. 

C’est aussi l’histoire des familles qui vivent dans des hôtels sociaux ou des campings, où chaque jour est une lutte pour préserver un semblant de normalité, comme un secret honteux. Ce sont aussi des personnes isolées, pour qui le chômage n’est pas un simple vide financier, mais un gouffre béant dans leur dignité et leur estime de soi. 


La pauvreté du crépuscule : la pauvreté des aînés 

Les personnes pauvres, c’est aussi le visage ridé de nos aînés, ces retraités dont la main tremble davantage à chaque fin de mois à cause de l’âge. C’est aussi ce sourire édenté qui cache la honte de ne pas pouvoir payer les soins dentaires quand il le faudrait, ces lunettes rafistolées avec un bout d’adhésif parce qu’un nouvel équipement est un luxe. Nos aînés ont des corps fatigués par le poids de la pauvreté, usés par une vie de labeur. La maladie devient précoce et on les laisse s’effacer dans l’ombre, comme si le temps était fini, comme si leur dignité pouvait s’estomper avec les années. Ces vieux restent chez eux, invisibles, dans des logements trop froids, où le chauffage leur est compté. Et nous, en tant que société, fermons les yeux… Aucune gratitude à leur égard. 


Face à la précarité grandissante, le SOS des associations 

La pauvreté, en France comme ailleurs, explose. Les associations le disent haut et fort tout au long de l’année. Ce n’est pas un problème de chiffres ou de statistiques, c’est une question d’humanité bafouée. 

Dans son rapport annuel publié le 14 novembre 2024, le Secours catholique alerte sur la dégradation du niveau de vie des personnes les plus pauvres et les difficultés croissantes d’accès aux prestations sociales, notamment en raison de la dématérialisation des démarches administratives. L’association souligne que le niveau de vie médian des ménages aidés est de 555 euros par mois, en baisse par rapport à l’année précédente. 


Selon le 18ᵉ baromètre de la pauvreté et de la précarité réalisé par Ipsos pour le Secours populaire, publié en septembre 2024, la situation sociale en Europe, y compris en France, reste difficile, avec une précarité accrue, notamment dans les pays de l’Est et du Sud de l’Europe.


Quant aux Restos du Cœur, ils ont observé une augmentation significative de la demande alimentaire en 2024. L’association a intensifié ses efforts pour répondre aux besoins croissants, tout en appelant à une mobilisation accrue des pouvoirs publics et de la société civile pour lutter contre la pauvreté. 


« La Journée mondiale des personnes pauvres », toute l’année 

J’écarte la notion de « Journée des pauvres » en proclamant « une Journée mondiale des personnes pauvres »… tout cela parce que cela rétablit une vérité. Cette journée ne doit pas être un point final, une case à cocher sur un agenda pour se donner bonne conscience, mais un début, un tremplin, parce que la vie humaine ne peut se réduire à un dimanche sur un calendrier. 


Les personnes pauvres ne sont pas des « objets de charité » que l’on invite une fois par an au Vatican pour un déjeuner, des ombres que l’on éclaire un instant sous les projecteurs avant de les laisser disparaître dans leur vie quotidienne. Les personnes pauvres sont des témoins vivants de notre monde brutal, de nos choix, de nos excès et de nos égoïsmes. Et c’est par le regard que tout commence : un regard d’amour et de respect. Les personnes pauvres sont des femmes, des hommes, des enfants, des personnes âgées, des couples, des familles, des frères et sœurs, des personnes isolées. 


Nous devons apprendre à reconnaître en chaque personne pauvre un frère, une sœur, un égal. Pas quelqu’un à « aider » pour se sentir mieux, mais quelqu’un à aimer pour construire ensemble un monde différent. Parce que je le sais : changer de regard, c’est déjà changer le monde.


Didier Antoine

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