
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
REFLEXION

Habiter l’avenir dans la Lumière de l’Evangile
Page publiée dans mon journal à 10:20
Un regard critique sur l’Eglise institutionnelle et une réflexion sur l’espérance comme dynamique libératrice, entre foi vivante et engagement concret dans un monde en quête de sens.
« À chaque jour suffit sa peine ».
Ces paroles de l’Évangile de Matthieu résonnent comme une invitation à lâcher prise, à déposer les armes de mon anxiété, de mes angoisses face à un avenir incertain. Les paroles du Seigneur Jésus pointent vers toute vie enracinée dans la confiance et l’espérance, dépouillée de la tentation de maîtriser ce qui me dépasse. Mais que signifie cette posture chrétienne pour un catholique libertaire que je suis, en retrait de l’Église institutionnelle ? Est-il possible de vivre l’espérance comme une dynamique libératrice, en échappant à la rigidité d’une foi institutionnalisée, tout en restant fidèle à l’appel de l’Évangile ?
L’avenir, dans la perspective biblique, n’est pas un territoire de peur ou de contrôle, mais un espace où Dieu se révèle et agit. Le Seigneur ne me demande pas de nier les épreuves qui me sont parfois lourdes, mais il m’invite à déposer devant son Père mes inquiétudes pour le lendemain. Ce passage pointe une question fondamentale : l’avenir appartient à Dieu et non à l’homme. Cependant, il ne faut pas nier que je suis doté de mon libre arbitre et que je suis confronté à la responsabilité de mes choix. Par conséquent, je peux faire le bien comme le mal. Et je demande à Dieu, dans la prière du Notre Père, de ne pas être soumis à la tentation, mais de me délivrer du mal.
Cette perspective de se soucier du lendemain détonne dans une époque marquée par le calcul, la planification et l’obsession du contrôle. La modernité a transformé l’avenir en un projet humain où la sécurité devient obsessionnelle. Pour le croyant que je suis, l’avenir n’est pas une page blanche que j’écris à l’avance et à ma guise, mais un espace d’accueil, où l’homme se tient dans l’attente d’une promesse divine.
Cependant, cette posture peut être perçue comme passive et déconnectée de la réalité. La critique que j’adresse souvent à l’Église institutionnelle, moi qui en ai pris distance, c’est qu’elle a enfermé l’espérance des hommes dans des dogmes figés pendant des siècles ou des pratiques infantilisaient les fidèles, en présentant un Dieu qui punissait et un Satan qui s’emparait des esprits tourmentés par les maladies. Cette critique repose sur l’id ée que l’espérance, pour rester vivante, doit échapper à la rigidité et être constamment réinterprétée à la lumière de ma propre expérience humaine et personnelle.
L’espérance ne saurait cependant se réduire à une soumission aveugle ou une forme de fuite devant mes responsabilités du présent. Loin de cela, l’espérance est d’abord une ouverture vers l’inconnu, mais aussi une dynamique de foi qui implique une vigilance éthique et une capacité à discerner le chemin du bien. Elle témoigne avant tout de la fidélité d’un Dieu qui m’accompagne chaque jour, tout en respectant mon autonomie et en m’appelant à une responsabilité personnelle. Dans cette perspective, l’espérance devient une force libératrice, capable de réconcilier ma foi avec les exigences de ma propre vie, pleinement assumée dans ce monde.
Si l’avenir appartient à Dieu, cela ne signifie pas que je dois attendre passivement sa réalisation. Bien au contraire, l’espérance chrétienne m’engage dans le présent. Elle m’invite à un réveil spirituel et à une responsabilité active face aux enjeux de mon quotidien. En me libérant de mes fausses urgences et de mes angoisses, elle m’ouvre la possibilité d’un discernement profond de mes priorités, ancré dans une dynamique de don et de service envers les autres. Cette espérance active donne un sens nouveau à mes actes. Elle transforme un geste ordinaire en un signe d’amour et de foi, rendant visible le Royaume de Dieu déjà à l’œuvre dans mon présent. Ainsi, l’espérance chrétienne n’est pas une simple attente, mais un moteur pour agir avec confiance et créativité dans un monde où je suis, comme beaucoup, en quête de sens et de justice.
Dans l’Évangile, cette dynamique est incarnée par des figures comme Marie, la mère de notre Seigneur, qui accueille l’annonce de Dieu avec une confiance après avoir posé une seule question : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » (Luc 1, 34). Ou encore les disciples, appelés à tout quitter pour suivre le Seigneur Jésus :« Comme Jésus marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient leurs filets dans la mer ; c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : “Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes.” Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. De là, notre Seigneur Jésus s’avança et vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, dans la barque avec leur père Zébédée, en train d’arranger leurs filets. Jésus les appela. Aussitôt, laissant la barque et leur père, ils le suivirent. » (Matthieu 4, 18-22).
Plus tard, les apôtres, guidés par l’Esprit Saint, surmontèrent leurs peurs et leurs doutes pour proclamer l’Évangile au monde entier. Ces figures montrent que l’espérance n’est pas une fuite vers un abstrait, mais une force qui transforme la manière d’habiter le monde ici et maintenant. Ces figures incarnent en moi une foi vivante et agissante, qui m’appelle à vivre une transformation personnelle au service du Royaume de Dieu.
Cependant, pour des catholiques critiques de l’institution, cette espérance peut sembler prisonnière d’un système trop humain. L’Église, parfois perçue comme rigide, s’est-elle rendue incapable d’annoncer une espérance véritablement libératrice ? La question est légitime. Mais peut-être faut-il distinguer l’institution de ma foi ? L’espérance m’appelle à devenir un artisan du Royaume de Dieu qui commence déjà ici-bas, dans l’attention aux autres et l’engagement pour la justice et pour la paix.
Pour le catholique que je suis, en retrait de l’Église institutionnelle, je peux avoir une vie remplie d’espérance dans mon espace de liberté critique sans abandonner l’appel à transformer le monde par de simples actions. Le message du Seigneur Jésus va au-delà des cadres rigides : « Vous êtes la lumière du monde. » Cela m’investit, comme beaucoup, d’une mission de témoignage et d’action, même les plus modestes. L’Évangile me rappelle avec force que la responsabilité repose sur une foi vivante et agissante, une foi qui se traduit concrètement dans mes paroles, mes actions et mes engagements. Une foi authentique se manifeste nécessairement par des œuvres empreintes d’amour et de justice. Cela ne vise pas à opposer la foi et les œuvres, mais à souligner leur complémentarité indissociable. Loin d’encourager un fatalisme passif ou une résignation devant les défis du monde, ma confiance en Dieu devient une source d’élan et de transformation. Elle libère en moi une énergie créatrice, m’appelant à agir avec courage, espérance et charité dans le moment présent.
Ainsi, ma foi agissante me pousse à répondre aux besoins des autres : ceux qui sont proches de moi, ma famille, mes amis, mes voisins, et tous ceux que Dieu me fait rencontrer. Mais aussi à défendre les plus vulnérables et à devenir des instruments de paix et de réconciliation dans un monde marqué par la souffrance. La foi m’invite à ne pas rester spectateur, mais à devenir un participant actif dans l’œuvre de Dieu, que nous avons tous reçue pour bâtir un monde meilleur. Ma foi m’inspire des actes concrets d’amour, non pas par obligation, mais par gratitude pour l’amour infini que Dieu me montre chaque jour. En ce sens, ma foi devient non seulement une espérance pour l’avenir, mais aussi une force transformatrice dans le présent, capable de révéler la présence vivante de Dieu à travers ma vie.
En résumé, pour mes frères et sœurs qui ont pris de la distance vis-à-vis de l’Église institutionnelle : que ces paroles du Seigneur Jésus résonnent en vous comme une invitation à vivre l’espérance comme une dynamique de liberté et de confiance. Dans votre posture critique vis-à-vis de l’institution, il est possible que vous découvriez une foi ancrée dans l’Évangile. L’avenir que vous aurez confié à Dieu ne supprime pas la responsabilité humaine, mais l’éclaire. L’espérance n’est pas une évasion mystique ni une soumission au statu quo. Elle est une force libératrice qui vous invite à habiter le présent avec courage et créativité, dans la confiance que l’avenir reste un lieu de la promesse divine. C’est dans ce contexte que vous retrouverez un chemin de liberté véritable et de fidélité à l’Évangile.
Didier Antoine