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ABUS SEXUELS

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Abbé Pierre : 50 ans d'impunité

Page publiée le 14 janvier 2025

Avant hier soir, un ami m’a informé de la diffusion d’un documentaire sur BFM TV concernant les exactions de l’Abbé Pierre. Ce matin, j’ai regardé ce reportage en replay. Ce que j’y ai vu m’a glacé.

Ce documentaire, terriblement révélateur, expose avec une froide lucidité ce qui s’est déroulé pendant près d’un demi-siècle dans l’ombre d’un homme que nous pensions tous connaître.


L’Abbé Pierre, cet homme au visage humble et au discours empreint de compassion, n’était pas celui que l’on croyait. Derrière l’icône se cachait une autre réalité : celle d’un homme aux pulsions incontrôlées, d’un être que des témoignages décrivent comme pervers, violent envers les femmes et détraqué dans sa sexualité. Ces mots, durs à entendre, résonnent encore plus fortement lorsque l’on mesure la portée de ses actes et l’ampleur de l’impunité qui lui fut accordée.


Il est difficile d’écrire ces lignes : par respect pour les victimes, d’abord, pour leur souffrance et pour le silence imposé qu’elles ont dû supporter. Par désir de justice, ensuite, afin que l’évidence de cette injustice ne soit plus jamais couverte par la vénération aveugle d’une icône. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : un homme protégé par son statut de fondateur d’Emmaüs, de héros de la lutte contre la pauvreté, de « dieu », comme l’a si justement dit Sœur Véronique Margron, présidente des religieuses et religieux de France. « On ne touche pas à dieu », c’était la règle tacite. Et cette règle a brisé des vies.


Les premières accusations datent des années 1950. Jacques Maritain, immense philosophe chrétien, avait écrit pour alerter. Il y a eu beaucoup de lettres, des cris étouffés, des murmures dans les couloirs de l’Église et ailleurs. Mais personne, personne, n’a osé dire tout haut ce que beaucoup savaient tout bas. La hiérarchie, celle qui se drape souvent dans l’autorité morale, a choisi de fermer les yeux. Et dans cette impunité, l’Abbé Pierre a continué. Pendant près de cinquante ans, vous imaginez, ses victimes n’ont eu ni voix, ni justice… seulement leur corps meurtri dans un silence où les plaies ne se cicatrisent jamais.


Je pense à ce père dont la fille a été une proie de l’Abbé Pierre. Elle s’était plainte… Le père l’a crue. Il a écrit à l’Abbé Pierre, a été reçu ; l’Abbé a déchiré la lettre devant lui. Le père est parti… tout juste s’il ne s’est pas excusé d’avoir heurté l’Abbé pervers. C’est incroyable.


Ce silence de l’Église m’emplit de dégoût. Comment une institution, censée porter les valeurs de vérité et de justice, a-t-elle pu se taire si longtemps ? Et plus encore, comment expliquer qu’aucun de ces faits n’ait été signalé dans le rapport de la commission Sauvé ? Cette omission est incompréhensible et profondément troublante. Elle soulève des questions sur l’ampleur réelle des silences encore à briser au sein de l’Église. J’attends également que l’on fasse un documentaire aussi incisif sur Jean Vanier, une autre grande personnalité de l’Église dont les actes ignobles doivent être exposés à la lumière.


Lors d’un débat sur Jean Vanier, une théologienne a affirmé qu’il fallait « séparer le bon grain de l’ivraie ». C’est sans doute vrai. Il y avait surement du bon chez ces pervers. Mais ce genre de raisonnement peut être dangereux… car il ne faut pas  excuser les actes les plus abominables sous prétexte qu’ils seraient à l’origine d’œuvres positives. On peut dissocier les actions d’un homme de sa personnalité entière. Mais les crimes sexuels, aussi graves soient-ils, ne peuvent être mis de côté sous prétexte de l’œuvre accomplie. Faire cela, c’est trahir les victimes et perpétuer une culture de l’impunité… encourager le silence.

Cette omerta pose une question fondamentale : comment une telle impunité a-t-elle été possible ? La réponse, bien que complexe, tient en partie dans l’aura de l’homme.


L’Abbé Pierre, ancienne personnalité préférée des Français, représentait une lutte noble et essentielle : celle contre la pauvreté. Mais cette œuvre sociale immense a été instrumentalisée comme un bouclier. Touchez à l’homme, et vous mettiez en danger l’idéal.Cette logique est abjecte. En cherchant à préserver une icône, on a sacrifié des femmes, des enfants, des êtres vulnérables qui avaient déjà tant subi. Leur souffrance a été ignorée, leur voix étouffée, au nom d’une cause plus grande, soi-disant. Mais quelle œuvre, quelle cause, peut justifier le sacrifice de l’humain ? Quelle lutte contre la pauvreté peut fermer les yeux sur la destruction d’âmes innocentes ?


Le documentaire que j’ai regardé ce matin ne laisse pas de place au doute. Dans le rapport publié par Emmaüs, vingt-quatre femmes ont témoigné. Vingt-quatre vies marquées par les abus d’un homme qu’elles étaient censées pouvoir admirer, respecter, voire aimer comme un père spirituel. Ces révélations ne doivent pas seulement nous choquer. Elles doivent nous révolter. Elles doivent nous pousser à agir.L’heure est venue pour l’Église et pour la société de briser ces éléments de culture qui protègent les prédateurs. La hiérarchie ecclésiale, tout comme les institutions laïques, doit comprendre que le silence n’est plus une option. Il faut parler. Il faut dénoncer. Il faut surtout écouter ceux et celles qui ont tant souffert.


En tant que catholique libertaire, je crois en une foi qui élève et libère, pas en une foi qui opprime et enferme. Je crois en un Dieu qui pleure avec les victimes et qui exige justice, même contre les élus de ce monde. L’Abbé Pierre est tombé de son piédestal, et c’est une chute nécessaire. Non par vengeance, mais par vérité. Car seule la vérité peut nous rendre libres.


Didier Antoine

 

 

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