Journal d'un catholique libertaire
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
(Marc 9, 35)

CHRONIQUE N°170
Au seuil de l’hiver : un Avent pour les consciences libres
lundi 1er décembre 2025

Un Avent qui n’appartient à personne peut encore toucher ceux qui marchent en marge. Il éclaire la nuit sans imposer de dogme. Il invite à veiller plutôt qu’à obéir. Et rappelle qu’une lumière peut renaître même dans les consciences libres.
L’Avent est devenu pour moi une saison intérieure plus qu’un temps liturgique. Je m’explique : j’ai laissé derrière moi l’Église, l’appareil ecclésial, ses pesanteurs, ses échelles de pouvoir, ses certitudes soigneusement vernies. Le mot Avent vient du latin adventus, qui signifie « venue », « arrivée ».
Je ne me définis plus par les cadres que l’on m’a enseignés, ni par les rites que l’on m’a demandé d’accomplir. J’ai pris mes distances vis-à-vis de l’Église institutionnelle.
Et pourtant, chaque année, depuis que mes enfants sont partis de la maison, lorsque reviennent les semaines sombres avant le solstice, lorsque la nuit prend le dessus sur le jour, une vibration intérieure, particulière, renaît en moi. Comme si l’Avent survivait aux institutions de l’ordre établi… mieux : comme si l’Avent n’avait jamais vraiment appartenu à personne. Je veux dire par là que l’idée de l’Avent n’est plus la propriété exclusive de l’Église, même si celle-ci l’a codifié. Le calendrier de l’Avent est mangé à toutes les sauces… la plus célèbre étant la sauce commerciale.
L’Avent n’appartient ni aux prêtres, ni aux théologiens, ni aux liturgistes. L’Avent existait chez les Celtes, les Germains et les Romains bien avant le christianisme. Cette période était marquée par des rites de protection contre la nuit, des feux allumés pour appeler ou symboliser le retour du Soleil. L’Église s’est inscrite dans ces pratiques pour faire du vingt-cinq décembre la fête de la Nativité.
Depuis que j’ai pris mes distances vis-à-vis de l’Église, l’Avent touche à une dynamique intérieure. Beaucoup de gens portent depuis toujours l’attente d’une lumière au cœur de l’hiver, le désir de renaître, l’ouverture à une joie qui n’est pas encore visible, la capacité d’espérer, l’acceptation de traverser la nuit tout en cherchant, dès l’aurore, un peu de clarté. Cela rejoint ma sensibilité libertaire : la foi survit sans dogme obligatoire, sans obligation imposée, sans aucune hiérarchie. Même libéré de l’Église institutionnelle, je suis toujours dans l’Espérance. Même en marge, je suis toujours en marche pour le salut.
Ce temps de l’Avent me parle précisément parce qu’il ne se donne pas comme un triomphe, mais comme une attente. Une attente sans décor grandiose, sans miracle spectaculaire. Une attente qui, dans les Évangiles eux-mêmes, n’est jamais confortable. Quand notre Seigneur Jésus dit : « Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » (Matthieu 25, 13), je n’entends pas un ordre adressé à un fidèle docile. J’y vois une invitation adressée à toute conscience libre : celle de ne pas s’endormir dans les habitudes, celle de ne pas se perdre dans la torpeur sociale, cet état collectif d’engourdissement où l’on accepte des idées toutes faites que l’on nous impose ; celle de ne plus croire qu’une critique, lorsqu’elle dénonce des abus ou des violences hiérarchiques, est un blasphème.
« Veillez », aujourd’hui, c’est garder vivante ma part d’humanité dans un monde qui cherche sans cesse à nous user de l’intérieur. L’Avent, pour moi, est devenu une sorte de résistance douce : résister à la vitesse, aux multiples vidéos placardées dans des stories, à la saturation permanente. Résister à la résignation. Résister aux discours prétendant posséder la vérité comme on possède un territoire, une chasse gardée. L’institution catholique m’a souvent semblé confondre la foi avec sa propre autorité. L’Avent, bien au contraire, restitue la foi à ce qu’elle a de plus vulnérable, donc de plus vrai.
On oublie parfois, au-delà de l’histoire de Noël… la fête de la Nativité, c’est cela que nous, chrétiens en retrait de l’Église, devons prononcer… que la Nativité n’est pas une histoire de pouvoir, mais une histoire d’exil. L’Évangile de Luc, au chapitre 2, versets 6 et 7, nous dit : « Le temps où Marie devait enfanter fut accompli. Elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. » Ce passage, que j’ai entendu mille fois, est devenu central pour moi. Il dit tout. L’essentiel se produit à la marge, hors des institutions, hors des privilèges. Le cœur du message se trouve dans une étable, c’est-à-dire dans ce qui n’a pas été préparé, pas sanctifié, sans imprimatur. C’est dans cette marge que surgit la Lumière, n’en déplaise ; surtout pas dans les palais où l’on décide ce qui devrait être sacré.
Pour un catholique libertaire, ce renversement est plus qu’un détail : il est une clé spirituelle. L’Avent me rappelle que ce qui transforme ma vie naît souvent là où personne ne regarde : dans les petits déplacements intérieurs, dans les fissures de mes certitudes, dans les gestes humbles qui ne seront jamais célébrés. Rien à voir avec les proclamations dogmatiques. L’Avent est un temps où j’apprends à faire de la place, à accueillir ce qui vient sans désir, sans calcul, sans possession.
Je ne cherche plus, pendant ces semaines, à préparer Noël au sens ancien du terme. Je cherche à me préparer à ce qui pourrait naître en moi si j’arrêtais d’être dans le tumulte d’un monde agité, stressant, et qui provoque tant d’anxiété chez mes sœurs et mes frères. L’Avent m’apprend que la lumière ne s’impose pas : elle se reçoit. L’Avent m’apprend aussi que l’espérance ne consiste pas à fantasmer un miracle, mais à demeurer ouvert quand tout incite au repli. C’est un cheminement exigeant, car l’Avent m’oblige à regarder mes propres nuits sans les éviter.
Pendant des années, quand les enfants étaient petits, je me laissais entraîner par la frénésie de la consommation et la joie bruyante des enfants, par l’enthousiasme des repas de Noël chez nous ou dans la famille. Aujourd’hui, devenu grand-père, l’Avent me parle autrement : il m’invite moins au tumulte et davantage à l’intériorité, là où mon âme retrouve enfin un espace de calme et de vérité.
Ce qui change au fil des ans, c’est que je ne vois plus l’Avent comme un calendrier stressant, mais comme un temps de lenteur et d’intériorité. Je m’aperçois que l’Avent redevient une puissance symbolique lorsque je l’ai débarrassé des filtres qui m’empêchaient d’être en harmonie avec ma foi, y compris dans l’Église institutionnelle. L’Avent m’invite à relire ma vie comme une succession de petites naissances : un pardon que l’on n’attendait plus, une parole qui apaise. Il y a un an, au début de l’Avent, j’ai perdu mon petit frère (il avait 55 ans, si jeune), en l’espace de trois mois, balayé par la maladie. Pour moi, l’Avent est une espérance intime et profonde.
L’Avent est pour moi un chemin où Dieu, le Père de tous les hommes, ne me révèle pas ce que je suis, mais me laisse deviner ce que je pourrais encore devenir. Ce temps me murmure que la liberté ne consiste pas à fuir ma croyance ou ma confiance, mais à croire autrement, sans pression, sans rejet, sans crainte, sans autorités pesantes. Et peut-être que cette promesse-là, si ténue soit-elle, suffit à éclairer la nuit. Parce que l’Avent n’exige pas d’y croire ; il m’invite simplement à ne pas fermer la porte trop vite, à garder, au milieu de mes doutes, la possibilité d’une naissance… même insignifiante, mais sincère, intime et insoupçonnée. Une naissance n’a pas besoin d’une Église, ni d’un pouvoir, ni d’un discours triomphant : seulement d’un cœur qui consent encore à l’inattendu.
Didier Antoine
Catholique Libertaire insignifiant

