
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
Actualités
Ni haine, ni oubli : prier encore dans le fracas des bombes
21 mai 2025

Dans le tumulte d’un conflit sans fin, les visages des innocents deviennent les témoins muets de nos échecs. Entre justice dévoyée et silences complices, une prière subsiste : que l’humanité n’oublie pas d’aimer.
Dix-huit mois déjà !Il y a des jours où le silence s’impose, mais il y a aussi des silences qui deviennent complices de l’oubli ou de l’indifférence. Le 7 octobre 2023, le cri de l’horreur a percé les cieux, violenté notre esprit devant notre petit écran, où notre regard, à la fois figé et incrédule, s’est retrouvé captif d’images insoutenables : des familles juives massacrées, des enfants enlevés, des corps mutilés. Une barbarie portant le nom de « pogrom », qu’on espérait reléguée aux ténèbres de l’histoire, est revenue frapper à la porte de notre temps. Il faut le dire avec force : ce fut un acte de terreur, un attentat contre la dignité humaine.
Le Seigneur Jésus, en qui je crois profondément, n’aurait jamais détourné les yeux. Il aurait pleuré sur ces enfants, comme il pleura sur Jérusalem. Il aurait souffert avec ces mères et ces pères. Car notre Seigneur n’est pas un Dieu lointain : il est ce Dieu crucifié, solidaire de toute victime, et dont le cœur saigne encore aujourd’hui pour ses frères du peuple d’Israël.
Mais alors, comment comprendre ce qui suit ? Car il y eut une riposte. Israël, dans une volonté légitime de se défendre, a frappé fort. Trop fort ? Oui, sans doute, car la justice perd sa pureté lorsqu’elle s’endurcit au point de ne plus entendre les cris des innocents. Gaza s’effondre sous les bombes, et les enfants y meurent aussi. La faim y devient une arme invisible, lente, silencieuse, mais tout aussi mortelle.
On parle de tunnels, de boucliers humains, de cibles stratégiques… mais derrière ces termes froids et militaires, tout est savamment orchestré par les terroristes, pensé avec une précision cynique où chaque vie devient une pièce sur un échiquier sanglant. Les civils sont utilisés comme des leviers émotionnels, les enfants et les personnes fragiles comme protections involontaires, les drames comme armes médiatiques. On utilise les hôpitaux pour s’y retrancher, y dissimuler des armes, y installer des postes de commandement… Rien n’est laissé au hasard : chaque image… chaque mort… chaque silence même semble pesé, exploité, recyclé dans une guerre de la perception autant que du territoire. Et pourtant, ce sont des hommes, des femmes, des enfants qui tombent, et ce sont leurs visages que le Seigneur Jésus regarde.
L’Évangile de Matthieu nous rappelle cette parole de notre Seigneur Jésus : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). À Gaza comme à Tel-Aviv, au kibboutz comme dans les ruelles des camps ou un champ de fête, ce sont des petits, des humbles, que l’on piétine dans ce conflit devenu inhumain. Le mal ne se combat pas par un surcroît de mal. Et pourtant, que faire face à un ennemi qui méprise toute loi, qui cache ses armes derrière les civils et qui proclame vouloir rayer Israël de la carte ?
Cette guerre n’est pas équitable. Elle ne l’a jamais été. Mais elle n’est pas non plus claire, ni dans ses buts, ni dans ses méthodes. Il y a des manipulations sordides, des otages libérés comme on orchestre une macabre mise en scène… des familles brisées jusqu’à l’irréparable. Je pense à la famille Bibas : un bébé, un enfant, une mère… morts dans une tragédie sans nom. Le corps de Shiri n’était pas le sien, mais celui d’une Palestinienne non identifiée. Cette affaire a profondément marqué l’opinion internationale.
Où est Dieu dans cette nuit ? Peut-être encore cloué, silencieux, avec eux.
Certains, en France et ailleurs, refusent d’admettre la complexité. L’extrême gauche transforme la lutte palestinienne en symbole, oubliant la haine totalitaire du Hamas. D’autres, par solidarité réflexe, taisent les crimes de l’État israélien contre les civils. Le débat devient caricature, la vérité devient otage des récits. Mais notre Seigneur Jésus n’est ni dans la haine envers le peuple juif, ni dans l’apologie de la violence. Il est dans l’homme blessé, dans les mères qui pleurent leurs enfants… abandonné sur la route, qu’aucun camp ne veut vraiment secourir.
Je suis un catholique libertaire, désenchanté, détaché de l’institution, mais pas de la foi. Et je suis fatigué. À 63 ans, j’ai vu passer tant de choses, des promesses et des espoirs depuis ma jeunesse. Dans cette région, j’ai vu naître des poignées de main historiques, des accords signés sous les caméras du monde, des discours chargés de paix… et j’ai vu, aussitôt après, les balles, les bombes, les trahisons, les espoirs étouffés dans le fracas des représailles. Chaque tentative de paix semblait sincère, mais trop souvent sabordée par ceux qui préfèrent la guerre à la justice, le contrôle au dialogue.
Les promesses d’Oslo, la main tendue entre Rabin et Arafat, les rêves soufflés de Camp David, les espoirs diplomatiques des accords d’Abraham… Tant d’efforts pour la paix, balayés en ce 7 octobre par la haine des hommes, par la méfiance, par l’orgueil.
Beaucoup, aujourd’hui, ne croient plus à la solution des deux États. Le Hamas, lui, n’en veut même pas. Il veut l’éradication d’Israël, des Juifs. Alors avec qui négocier ? Comment bâtir la paix quand les mots eux-mêmes sont empoisonnés ? Même moi, je ne sais plus. Mais je sais que notre foi nous enjoint de croire encore contre toute espérance.
Notre Seigneur Jésus disait : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9). Ce n’est pas une utopie, c’est un commandement. Il faudra bien, un jour, cesser de bombarder pour commencer à parler. Il faudra bien qu’un homme se lève, à la manière d’un Jean-Baptiste dans le désert, pour oser dire : Assez ! Cela suffit !
Peut-être que cet homme ne sera ni puissant ni écouté d’abord, mais il portera en lui la voix de Celui qui ne crie pas, mais qui sauve. Car la paix ne naîtra pas des armes, mais du courage de tendre la main quand tout pousse à la refermer.
Je ne fais pas confiance aux puissants, ni à Netanyahou, ni à ceux qui hurlent dans les rues de Paris des slogans ambigus et des certitudes toutes faites, qui déguisent la haine en engagement… en résistance… la colère en vérité. Mais je garde en moi une prière. Que les enfants de Gaza mangent, qu’ils retrouvent le goût de la vie, et non celui de la poussière et de la peur. Que les enfants d’Israël dorment sans cauchemar, sans sirènes en pleine nuit, sans le traumatisme d’avoir grandi trop vite. Que les armes se taisent, qu’elles tombent en poussière dans l’oubli, remplacées par des mots, des gestes de réconciliation, des ponts jetés entre des peuples que tout oppose, mais que Dieu a créés pour vivre ensemble, non pour s’entretuer.
Que les cœurs s’ouvrent à la miséricorde, non pas celle des calculs politiques ou des trêves provisoires, mais celle qui transforme vraiment, qui guérit les blessures de l’âme et désarme les rancunes. Je sais que je n’en verrai pas l’aboutissement de mon vivant, car la paix véritable prend racine lentement, au prix d’innombrables renoncements. Mais le Seigneur Jésus est vivant, il marche encore au milieu des ruines, il console les mères, relève les blessés, murmure l’espérance là où tout semble perdu. Et son Royaume n’est pas de ce monde, mais il commence ici, dans chaque cœur qui refuse de haïr, dans chaque main tendue malgré la peur.
Alors, en ce jour encore, je prie. Pour que Dieu, le Père de tous, fasse plier les genoux des violents, des calculateurs, des stratèges et des fanatiques… tous ceux qui prennent la vie des autres pour asseoir leur pouvoir ou nourrir leurs haines. Qu’il renverse leur orgueil, qu’il fissure leurs certitudes de pierre, qu’il ébranle leurs cœurs endurcis jusqu’à ce qu’ils se souviennent qu’ils sont aussi des hommes. Et qu’il vienne, comme une brise douce après la tempête, consoler les veuves, les orphelins, les peuples crucifiés, ceux que l’histoire écrase en silence. Que sa tendresse devienne refuge, et sa justice, semence d’un monde nouveau.
Viens, Seigneur Jésus, Prince de la paix.Car nous ne savons plus comment faire.
Didier Antoine
Catholique libertaire insignifiant
Sources :