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EGLISE PAPE

François est mort, la curie romaine en effervescence

23 avril 2025

Le pape François s’est éteint, laissant derrière lui une Église en tension entre fidélité au passé et appels à l’ouverture. Son pontificat fut une brèche : imparfaite, contestée, mais profondément habitée par le souffle des oubliés.

François est mort. Paix à son âme. Que le Seigneur l’accueille en son Royaume, lui qui, malgré l’étole, malgré la mitre, malgré les dorures de la charge, aura su garder quelque chose de l’homme de la proximité, de la rue. De celui qui marche, qui écoute, qui pleure et qui se salit les mains.

 

Moi, je ne suis plus à genoux devant l’institution. Plus depuis longtemps. Je fais partie de ceux que l’on a finis par ranger dans les marges, ceux qui dénoncent les pouvoirs et les silences, ceux qui s’y sont installés de leur propre gré, las de voir ces laïcs qui s’accrochent à leur place. J’ai gardé le goût de l’Évangile, des équipiers de Jacques Loew, prêtre, grande figure de l’Église du vingtième siècle. Les homélies standardisées, je ne veux plus les entendre. J’ai gardé la foi, mais surtout pas dans une Église qui préfère le silence au cri de ceux que l’on abuse, la norme à la tendresse, la pureté rituelle à la miséricorde.

 

Pourtant, à sa manière bancale, François parlait à des gens comme moi. Il parlait pour nous. Pour tous ceux que l’Église regarde de biais. Les divorcés remariés, les femmes seules, les familles monoparentales ou recomposées, les personnes homosexuelles, les laïcs qui osent croire que l’Esprit Saint ne souffle pas qu’en chasuble ou avec ceux qui ont fait de hautes études théologiques.

 

Il parlait pour les migrants noyés en Méditerranée, pour les peuples oubliés d’Amazonie, pour les enfants affamés qu’aucun diocèse ne pourra rassasier. Pour cette Terre saccagée par notre surconsommation et pae les déchets que nous produisons. Il parlait d’un Dieu qui ne juge pas avant d’avoir écouté. Et dans une Église qui aime tant poser des barrières, il répétait sans relâche : « Qui suis-je pour juger ? »

 

C’est peut-être là que réside l’hérésie de François. Il n’a pas joué au pape de salon. Il n’a pas cherché à plaire aux puissants. Il a tendu l’oreille aux abîmés de la vie. Et cela, dans l’Église catholique d’aujourd’hui, c’est presque un crime.

 

On l’a taxé de progressiste comme on lancerait une accusation. On a dénoncé ses ouvertures comme des trahisons. On l’a caricaturé en pape politique, en homme de gauche en soutane, comme si l’Évangile ne portait pas en lui une radicalité sociale sans compromis. On a oublié, commodément, que le Seigneur Jésus lui-même n’était pas venu pour défendre un ordre, mais pour le renverser. Beaucoup l’ont oublié.


Mais il faut être honnête : François n’a pas été un révolutionnaire. Il n’a pas mis le feu à la maison. Il a entrouvert des portes, amorcé des gestes, tenté de déplacer le centre de gravité. Et c’était déjà trop pour certains, pas assez pour d’autres. C’est là qu’il faut comprendre la complexité du moment. Car l’Église est un vieux paquebot, avec une coque faite de siècles et de dogmes. Elle tourne lentement, résiste à toute manœuvre. Et à l’intérieur, la guerre fait rage.

 

Je parle bien d’une guerre, oui. Pas à coups d’épées, mais à coups de communiqués, de nominations, de manœuvres de couloir. Entre conservateurs arc-boutés sur le magistère et réformateurs qui réclament enfin une place pour les femmes, pour les laïcs que l’on a décrété qu’ils n’avaient pas droit au chapitre, ceux que le cléricalisme a toujours tenus à distance. Entre les traditionalistes qui rêvent encore en latin, nostalgiques de Vatican I, et ceux qui voudraient que l’Église parle enfin dans la langue du monde sans trahir l’essentiel. Moi, je n’ai jamais pu choisir mon camp dans cette bataille de pouvoir, entre ceux qui se tirent dans les pattes. Arrêtons les hypocrisies… tous ces clans tuent l’Évangile.

 

Et au cœur de ce champ de bataille, il y a la Curie. Ah, cette fameuse machine tentaculaire, vieille de siècles, avec ses palais, ses couloirs, ses intrigues, ses logiques de pouvoir qui n’ont parfois rien à envier à celles d’un gouvernement. J’ai longtemps cru que cela relevait du fantasme ou du roman. Mais tout y est. La guerre des courants, les coups bas, les résistances internes. Et le pape, même lui, n’est qu’un pion parmi d’autres dans ce jeu d’échecs de Vatican II. Il frappe, oui… sûrement… mais il encaisse aussi.

 

Je me souviens comme si c’était hier du 22 décembre 2014. Un an et demi après son élection. François, à la Curie, pour les traditionnels vœux de Noël. Et là, il sort un texte d’une puissance inouïe. Une litanie de quinze maladies spirituelles qui rongent l’institution. On n’en parle plus du tout. François y évoquait la schizophrénie existentielle, le carriérisme, la dureté du cœur, l’hypocrisie fonctionnelle. Il s’adressait à ses plus proches collaborateurs, à visage découvert, et il les appelait à une conversion radicale. C’est aussi un message aux laïcs qui détiennent un pouvoir. Je n’ai jamais entendu un pape parler avec une telle lucidité, une telle liberté. Ce jour-là, j’ai eu l’impression qu’il déchirait le voile… et que ses jours étaient comptés. Je me disais même qu’il fallait qu’il fasse attention à ce qu’il mange. Je plaisante… quoique… un peu d’humour… même si les fidèles sont en deuil… enfin, pas tous.

 

Mais voilà : cette parole-là, si puissante soit-elle, a été vite recouverte. Par les habitudes. Par l’inertie. Par la peur du changement.

 

Le Synode sur la synodalité ? Un immense espoir, beaucoup de promesses, et, au final, un texte prudent, tiède, presque administratif. Une révolution qui avance à pas comptés, lestée par ceux qui veillent à ce que rien ne bouge trop vite.

 

Je ne jette pas la pierre à François. Il a fait ce qu’il a pu, avec ce qu’il avait. Et surtout, il a refusé d’exclure. Il a préféré la miséricorde à la condamnation. Il a rappelé que les dogmes sans charité sont des armes, pas des lumières. Mais ce refus d’exclure l’a isolé. On ne pardonne pas à un pape de ne pas avoir été un chef strict.

 

Maintenant qu’il est mort, les Monsignores du Vatican rôdent… tractations… manipulations… manœuvres… marchandages. Tous les ingrédients sont là. Les tenants du pouvoir affûtent leurs discours dans les couloirs feutrés où bruissent les secrets, chacun jouant sa partition dans ce théâtre d’ombres où l’ambition se dispute la place à leurs intérêts.

 

Le danger, c’est le retour en arrière, l’effacement progressif des audaces de François, la restauration d’une Église repliée sur elle-même, oublieuse de l’humanité. Cela me terrifie.

Alors je me tiens là, en équilibre. Entre fidélité et révolte. Entre foi et doute. Je ne crois plus en l’infaillibilité d’un système. Mais je crois encore en la puissance subversive de l’Évangile, rien que l’Évangile. Je crois en ce Dieu qui a préféré naître dans une étable et mourir entre deux voleurs, plutôt que de régner dans les palais. Ce Dieu que François a essayé de suivre, même maladroitement.

 

François est mort. Mais tant qu’il y aura des femmes et des hommes pour croire qu’aimer est plus important que dominer, tant qu’il y aura des voix pour rappeler que le Seigneur Jésus ne parlait ni latin, ni canon, son combat ne sera pas vain.

Moi, je reste là… à la marge… médiocrement selon certains, mais qu’importe… qui se soucie d’un insignifiant ? (Le Seigneur Jésus.) Je suis un libertaire. Je combats les pouvoirs qu’une caste s’octroie et se coopte entre elle. Dans le désordre fécond de la foi libre… avec l’Évangile en poche… la colère au cœur… et l’espérance avant tout.


Repose en Paix François

Sources :

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