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Boualem Sansal

Boualem Sansal, ou l’âme de la France emprisonnée

Page publiée le 19 mars 2025

L’arrestation arbitraire de Boualem Sansal n’est pas seulement une injustice, c’est une alerte : quand un écrivain est réduit au silence, c’est toute une nation qui vacille. Face à l’indifférence et aux calculs diplomatiques, exiger sa libération, c’est défendre l’âme même de la liberté.

Quatre mois d’indignité, de silence, d’abandon. Boualem Sansal est un écrivain de la lucidité et du courage. Il croupit dans une prison algérienne sans droits, sans procès digne de ce nom, sans qu’on s’en émeuve plus que de raison. L’homme a 75 ans. Il est malade, épuisé… sans importance aux yeux des despotes du vingt-et-unième siècle. Quand un pouvoir se sent menacé, il n’a cure ni des âges, ni des états de santé… L’injustice est d’autant plus cruelle qu’elle est froide et méthodique ; elle enferme, elle muselle, elle isole. Mais en quoi Boualem Sansal est-il menaçant ? Il est accusé « d’atteinte à l’intégrité nationale », rien que ça, et « d’intelligence avec des entités étrangères ». Ces accusations font suite à des déclarations controversées de Boualem Sansal concernant l’histoire entre l’Algérie et le Maroc… Il est de plus soupçonné d’avoir transmis des informations sensibles à des diplomates étrangers… C’est du grand n’importe quoi. Et nous, que faisons-nous ?


Les voix s’élèvent à peine, et l’indignation officielle suinte d’une prudence coupable. Le président de la République française, dont les discours savent s’enflammer pour la grandeur républicaine ou les commémorations solennelles, ne semble ici oser que des mots feutrés, un murmure à peine audible. Pourtant, Boualem Sansal est aussi français (il a la double nationalité). Il est de cette France qui pense, qui débat, qui éclaire. De cette France qui refuse l’amnésie et l’appauvrissement du langage, ces instruments sournois d’asservissement que lui-même dénonçait dans son roman « 2084 ».


Son arrestation est une offense à la liberté, mais elle est aussi un avertissement. L’emprisonnement d’un écrivain n’est jamais un fait divers ; c’est un signal, une mise en garde à tous ceux qui croient encore à la parole libre. Ce n’est pas seulement un homme que l’on enferme, c’est une mémoire, une pensée, une part de l’esprit critique que l’on veut faire taire.


Je me souviens, dans ma jeunesse, de quelques personnalités intellectuelles qui m’avaient interpellé par leurs opinions dissidentes : Vaclav Havel (Tchécoslovaquie), dramaturge dissident emprisonné par le régime tchécoslovaque de 1979 à 1983 pour ses écrits et son militantisme intellectuel. Comme Boualem Sansal, ses textes étaient perçus comme une menace par un régime autoritaire, car il était capable de réveiller la conscience civique d’une nation.


Un autre personnage que l’on n’oublie pas : Alexandre Soljenitsyne, écrivain dissident soviétique, prix Nobel de littérature en 1970, qui passa huit ans en camp de travail forcé (Goulag) suivi de plusieurs années d’exil interne pour avoir critiqué le régime stalinien.

Ce qui m’a frappé aussi dans ma jeunesse, c’est l’affaire Salman Rushdie, auteur britannique d’origine indienne, représentant un parallèle éclairant avec Boualem Sansal. Bien qu’il n’ait jamais été emprisonné physiquement, Salman Rushdie fut condamné à mort par une fatwa émise en 1989 à la suite de son roman « Les versets sataniques ».


Ces trois intellectuels, et il y en a d’autres, incarnaient la résistance intellectuelle face à une oppression cherchant à contrôler les consciences par la terreur et le silence imposé.


Heureusement, il reste des voix qui refusent la résignation. L’avocat de Boualem Sansal annonce qu’il va saisir l’ONU et les instances internationales afin de dénoncer le caractère arbitraire de cette détention. Voilà donc ce qu’il faut faire : faire du bruit, porter l’affaire au plus haut niveau, contraindre le silence complice à reculer. Car il ne s’agit pas seulement de sauver un homme, mais d’empêcher qu’un précédent ne devienne une habitude. À chaque écrivain que l’on enferme, c’est un monde libre qui s’étrangle un peu plus.


Ce qui se joue ici dépasse largement le destin d’un seul homme. Il s’agit de la fragilité de nos valeurs, de l’abandon progressif de nos responsabilités morales. La France, qui aime à se croire patrie des droits de l’homme, devrait se souvenir que l’indignation n’a de valeur que si elle s’accompagne d’actes. Défendre Boualem Sansal, c’est défendre l’âme de la France elle-même, son âme, sa vocation universelle.


Mais voilà, Emmanuel Macron doute de lui-même, comme un faible. Il titube entre les intérêts économiques de la France et peut-être ses idéaux, à supposer qu’il en ait encore. Il se trahit lui-même et mène notre pays dans l’impasse. Il a peur de tout… peur de froisser un pouvoir algérien ombrageux… peur des représailles à l’intérieur du pays… alors même qu’il devrait se rappeler que Boualem Sansal n’appartient pas seulement à l’Algérie, mais à l’humanité tout entière. Il est des combats que l’on ne peut esquiver sans se renier.


En tant que chrétien, catholique libertaire, je refuse d’assister, résigné, à l’enfermement de la pensée. Je refuse que l’indignation soit un luxe réservé aux causes consensuelles et sans risque. Si la liberté a un sens, qu’on la fasse entendre pour Boualem Sansal.


Il est grand temps d’exiger, non de demander… mais d’exiger sa libération.


Didier Antoine

 

Sources :

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