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CHRONIQUE N° 159

Les saints : de la voix du peuple au pouvoir de Rome

lundi 29 septembre 2025

Le culte des saints

Le culte des saints naît presque en même temps que le christianisme. Dès les premiers siècles, les communautés chrétiennes cherchent des figures exemplaires, des témoins qui, par leur vie ou leur mort, incarnent une fidélité exceptionnelle que l’on admire… que l’on vénère. Les martyrs des persécutions romaines deviennent les premiers saints. Leur tombe, leur stèle sont visitées. Leur anniversaire est célébré comme une fête liturgique.


Contrairement aux idées reçues, le culte des saints s’organise spontanément, sans décret ni structure officielle. C’est la vox populi (la voix du peuple) qui consacre les figures vénérées. On organise des pèlerinages, des processions et des pardons.La reconnaissance vient « par le bas », portée comme un élan populaire par la mémoire des croyants. D’où la prolifération des saints locaux. Peu à peu, l’Église institutionnelle encadre cette ferveur. Dès le IVᵉ siècle, avec la paix constantinienne (où les chrétiens ne sont plus persécutés) et l’essor du christianisme comme religion reconnue, les évêques interviennent : ils sélectionnent, valident ou parfois freinent des cultes locaux. L’autorité ecclésiastique comprend qu’il y a là un puissant moyen d’unité et de pédagogie… et cela fonctionne. Les saints deviennent des modèles de foi mais aussi des intercesseurs capables de rapprocher le peuple de Dieu… et cela fonctionne.


Il faut attendre le Moyen Âge pour que la canonisation devienne une procédure centralisée. Au XIᵉ siècle, le pape se réserve à Rome le droit de déclarer officiellement un saint ou une sainte. La haute sphère de l’Église reprend en main une dévotion qui, jusque-là, naissait dans les villages, les villes et même les monastères. Et cette officialité ne supprime jamais totalement l’élan de la base : la ferveur populaire continue d’imposer ses figures. Sans le peuple, il n’y a pas de saints.

Ainsi, l’histoire du culte des saints est celle d’une tension permanente : d’un côté, la voix du peuple croyant qui choisit, raconte, transmet ; et de l’autre, l’institution qui codifie, sélectionne, contrôle. Entre les deux, il y a une tradition vivante qui se construit, où la sainteté n’est jamais qu’un reflet des aspirations spirituelles et sociales d’une époque.


La procédure de canonisation

Au fil du temps, ce qui n’était qu’un élan populaire devient une mécanique minutieuse. Le culte des saints, né de la ferveur spontanée, est peu à peu transformé en processus officiel et bien huilé : la procédure de canonisation. Rome a pris les choses en main pour la bonne et simple raison qu’il y a eu dans le passé des excès de la part des fidèles : culte de personnages douteux, légendes embellies, fausses reliques. Pour établir de l’ordre dans tout cela, le pape Alexandre III, en 1170, décrète que seule Rome désormais se donne le droit de proclamer un saint. Le pouvoir pontifical s’impose ainsi sur les dévotions locales.


À partir de là, la canonisation ressemble à un véritable procès, une machine lourde… implacable, où la sainteté se juge comme une affaire judiciaire, une instruction soumise à des règles strictes, à des preuves, avec un verdict sans appel.


Le procès se déroule en trois temps :


Le premier est l’ouverture de la cause : le candidat doit d’abord être proclamé « Serviteur de Dieu ». Un postulateur, souvent un religieux, rassemble des documents, des témoignages et les soumet à l’évêque local.


Dans un second temps, il est procédé à un examen de la vie et des vertus du candidat : des commissions enquêtent sur sa biographie, ses écrits, sa réputation. Il s’agit de vérifier la justesse de sa pensée, la pureté de sa foi et sa moralité. Et pour terminer, au moins deux miracles attribués à l’intercession du candidat sont exigés comme signe divin confirmant la sainteté. Ces miracles doivent être authentifiés par des experts, souvent des médecins.


Enfin, en troisième temps, l’ensemble du dossier est transmis à la Congrégation pour la Cause des Saints, un organe du Vatican chargé d’examiner chaque cas.


Il faut le souligner, pendant des siècles, un personnage important jouait un rôle central : le fameux « avocat du diable ». Sa mission était de contester, de critiquer, de chercher la faille du candidat. Son opposition garantissait le sérieux de la procédure. C’est de là que vient l’expression de notre langage courant : « jouer l’avocat du diable », celui qui défend une position contraire, gênante, souvent pour tester la solidité d’un raisonnement ou lancer un débat.


L’avocat du diable a été supprimé en tant que tel par le pape Jean-Paul II. Il n’existe plus comme fonction officielle. Il a été remplacé par des théologiens, des historiens et des médecins. Leur travail critique est beaucoup moins contradictoire.


Si toutes les étapes sont franchies, le pape peut proclamer d’abord la béatification (qui autorise un culte local ou limité), puis la canonisation (qui impose un culte universel à l’Église entière). Le saint entre alors officiellement dans le calendrier et dans la mémoire collective de l’Église catholique. Le culte populaire avait inventé les saints ; la papauté en a fait une institution. La sainteté n’est plus seulement la voix du peuple, mais aussi un sceau pontifical d’autorité, et parfois... il faut le souligner... une arme politique. Les deux plus célèbres en France sont le roi Louis IX, plus connu sous le nom de « saint Louis », qui fut une manière de renforcer l’alliance entre la monarchie et la papauté, et bien sûr Jeanne d’Arc, canonisée en 1920, cinq siècles après sa mort. À la veille de la séparation de l’Église et de l’État, Rome utilise cette canonisation comme une carte politique, en érigeant en sainte une figure nationale, guerrière et patriote… aujourd’hui encore récupérée.


Revenir à l’essentiel

Je voudrais parler ici non pas en historien, encore moins en théologien que je ne suis pas, mais en simple croyant insignifiant qui a longtemps observé, parfois admiré, souvent douté. Le culte des saints n’est pas une curiosité du passé, c’est une réalité vivante dans l’Église d’aujourd’hui. Et c’est aussi une pratique qui m’interroge profondément.


Je ne nie pas que certaines figures m’ont inspiré. Lire la vie de François d’Assise, connaître le parcours de Vincent de Paul et de Thérèse de Lisieux est saisissant. J’ai aussi admiré Teresa de Calcutta, qui n’était pas encore sainte, et bien sûr Jacques Loew, qui ne le sera jamais faute de moyens. Ces hommes et ces femmes nous rappellent qu’il est possible de vivre l’Évangile jusque dans ses exigences les plus folles. Ils témoignent que la sainteté n’est pas un idéal abstrait, mais une aventure humaine.


Mais en même temps, je ressens une gêne. Quand je vois des foules entières courir vers des reliques, supplier une statue de marbre, de bois ou de plâtre, collectionner des médailles et des chapelets comme des porte-bonheur, allumer des bougies neuvaines dans un récipient de verre avec la photo du saint, multiplier statuettes et objets divers… j’ai l’impression que l’on confond la foi avec une forme de magie, voire de superstition. Et là, mon cœur se cabre et mon esprit n’imprime plus.


Comme beaucoup, j’ai traversé des tempêtes dans ma vie. Quand j’ai sombré dans la dépression, mes amis me disaient qu’ils avaient prié la Vierge Marie. L’un d’eux m’a donné une prière à sainte Rita, patronne des causes désespérées. Ils ont prié pour moi, avec gentillesse, par l’intercession des saints. Ils m’ont rapporté des images de leurs pèlerinages… C’était très touchant.

J’ai été sous antidépresseurs pendant plus de deux ans. J’ai pu sortir de l’eau grâce à la méditation de pleine conscience et surtout en choisissant comme seul médiateur le Seigneur Jésus. Lui seul a donné sa vie pour nous… Lui seul est ressuscité… Lui seul est à la droite du Père. Il ne me juge pas, il me relève.


Alors pourquoi tant de prières détournées vers d’autres ? Pourquoi cette habitude de multiplier les voix comme si celle du Seigneur Jésus ne suffisait pas ? Certains me disent : « Les saints prient avec nous, ils ne remplacent pas Jésus. » C’est vrai en théorie. Mais en pratique ? Combien de croyants s’adressent uniquement à Marie ? À Antoine de Padoue ? À Rita et à tant d’autres ? Comme si Jésus n’était pas assez proche, pas assez disponible.


J’ai le sentiment qu’on habille la foi de médiations inutiles. Comme si l’on avait peur d’aller droit au cœur de Dieu. Je ne parle pas ici d’une idolâtrie volontaire. Mais il y a un glissement subtil, mais réel : quand l’objet du culte devient une relique, un sanctuaire, une médaille, un pèlerinage… au point que le Seigneur Jésus passe au second plan, c’est comme si la lumière des saints, au lieu de refléter le soleil, finissait par l’éclipser. Et cela, je ne peux m’y résoudre. Car la sainteté n’est pas faite pour détourner mes yeux, mais pour les orienter vers l’unique source de Lumière : le Seigneur Jésus lui-même, mon Sauveur et mon Médiateur.


Paul, dans sa lettre à Timothée (chapitre 2, verset 5), disait :« Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même. »


Je rends grâce chaque jour au Seigneur Jésus de m’accorder une foi désencombrée. Une foi qui ne se perd pas dans des processions et des dévotions, mais qui se nourrit de l’Évangile… du face-à-face avec Lui. Le seul saint dont j’ai besoin, c’est Lui. Le seul nom que je veux invoquer, c’est le sien. Le seul qui m’écoute, m’accueille et intercède, c’est seulement Lui. Je n’ai pas à collectionner des intercesseurs comme on additionne des assurances. Sa grâce me suffit, et c’est en Lui que je trouve la paix.


Didier Antoine

Catholique Libertaire insignifiant

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