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JACQUES LOEW - HIER ET AUJOURD'HUI

Le dernier droit des vivants fatigués : la mort comme projet de société

Ça y est. C’est officiel. Le gouvernement s’attaque au grand tabou. Non pas à la dette abyssale. Non pas à l’effondrement des services publics. Non pas à la pauvreté galopante, aux hôpitaux asphyxiés, aux personnels soignants au bord de l’explosion, aux profs à bout de nerfs, à l’insécurité, aux gardiens de la paix jetés en pâture, à l’antisémitisme, aux narcotrafics,  ou à la crise du logement. Non. L’urgence nationale, ce printemps, c’est l’euthanasie.


La République, dans un bel élan de compassion législative, décide enfin d’ouvrir la possibilité, pour certains malades, de « mourir dans la dignité ». Jolie formule, bien calibrée, bien marketée. La même qui, il y a vingt ans, aurait déclenché un tollé. Aujourd’hui, elle passe toute seule. C’est ça, la magie du progrès : on habitue les gens à l’idée de la mort comme solution.


Mais que diable vient faire cette loi, maintenant, dans un pays en pleine crise de nerfs, de valeurs, de finances et d’identité ?

Nous sommes au bord de tout : plus d’argent, plus de confiance, plus de perspectives. Une guerre à l’Est, une poudrière au Moyen-Orient, un antisémitisme qui recommence à pourrir les rues, une jeunesse paumée, des policiers désemparés, des agriculteurs suicidés, des migrants à la rue, des quartiers sous l’emprise des trafiquants, et des EHPAD en mode gestion financière — certains côtés en Bourse, c’est dire le respect qu’on porte aux anciens.


Le pays tangue. Il suffoque. Et que propose-t-on comme réponse ? Donner la mort. Mais proprement, dans les formes. Avec des critères… un cadre… un protocole. C’est rassurant. Surtout pour ceux qui rédigent les décrets.

On parle de « maladie incurable », de « phase avancée », de « souffrance réfractaire ». Mais sans jamais définir les termes. La phase avancée, c’est quoi ? Un mois ? Trois ans ? Est-ce qu’une dépression chronique compte ? Une sclérose débutante ? Une solitude insupportable ? Quand le flou devient la règle, l’arbitraire s’invite, et avec lui l’abus.


La vérité, c’est que la médecine n’est pas une science de l’absolu. Elle ne sait pas prédire, elle accompagne. Elle doute, elle ajuste, elle observe. Vouloir lui faire endosser le rôle de juge du « moment de mourir », c’est lui faire porter un poids éthique qui n’est pas le sien. C’est l’utiliser comme outil de confort collectif, pas comme rempart de la vie.


Et pendant ce temps-là, les soins palliatifs, eux, crèvent. Littéralement. Dans des régions entières, ils sont inexistants ou ultra-minoritaires. Trop chers, trop longs, trop humains peut-être. Alors, on déplace le curseur : là où la société devrait accompagner dans la douleur, elle préfère abréger. La compassion s’efface devant l’efficacité. Le soin devant le choix. La solidarité devant la gestion.

Oui, je suis catholique libertaire. Je ne fais partie d’aucune mouvance. Oui, je crois que la vie a une valeur intrinsèque. Mais je suis aussi libertaire, profondément hostile à l’acharnement thérapeutique, à l’obsession du contrôle, à l’idée qu’il faille tout régir, tout encadrer, même la mort. Ce que je conteste ici, ce n’est pas qu’on me laisse libre, c’est qu’on fabrique cette liberté comme un faux-semblant, dans un monde qui n’offre plus de vraies alternatives.


Parce qu’en réalité, ce n’est pas la personne en fin de vie qu’on libère. C’est la société qu’on soulage d’un poids. Les vieux coûtent trop cher. Les malades sont trop lourds. Les héritages stagnent. Les ayants droit s’impatientent. Et l’État y trouve son compte dans les droits de succession.

Derrière la promesse d’humanité, il y a une logique froide : alléger la charge. Libérer les lits. Réduire les coûts. Tranquilliser les familles. Faire taire les consciences. Et tant pis si l’on franchit une ligne qu’on ne pourra plus jamais remonter.


Le vrai scandale, ce n’est pas qu’on débatte de la fin de vie. Le vrai scandale, c’est qu’on le fasse alors que la vie même est maltraitée, abandonnée, méprisée. Comment croire à la sincérité d’un État qui n’a pas les moyens d’un lit pour les mourants, mais organise leur mort dans le marbre de la loi ?

Ce que nous vivons n’est pas un progrès. C’est le dernier aveu d’une société à bout de souffle, qui a perdu foi en elle-même, qui n’ose plus croire à la guérison, ni à l’accompagnement, ni à la fraternité.


On nous dit que ce sera un choix. Que nul ne sera forcé. Mais l’histoire, elle, nous apprend qu’une fois la porte ouverte, il devient impossible de la refermer. Les critères s’élargiront. Les demandes augmenteront. La pression sociale s’invitera. Et peu à peu, le droit deviendra un conseil, une norme, puis un devoir.

Non, décidément, ce n’est pas un progrès. C’est un aveu de capitulation.


Alors que faire ? Résister. Exiger que les soins palliatifs soient un droit réel, pas un vœu pieux. Défendre une société qui soutient ses faibles au lieu de les éliminer discrètement. Et rappeler, inlassablement, que la valeur d’une vie ne se mesure pas à son utilité, ni à son coût, ni à la tranquillité de ceux qui restent.


C’est quand la société ne sait plus quoi faire des vivants qu’elle commence à organiser leur mort. Et cela, croyez-moi, n’a rien à voir avec la dignité.


Didier Antoine

Un catholique libertaire en marge.

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