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HANDICAP

Il y a toujours eu deux églises dans l’Église

Il existe une vérité souvent tue dans l’Église catholique, une tension qui la traverse depuis ses origines : l’existence de deux églises en son sein. Non qu’il y ait deux corps mystiques, car l’Église est Une, comme le proclame le Credo, mais une dualité qui hante son histoire et qui demeure.

Une opposition entre deux visions du monde, politique et sociétal, des pouvoirs hiérarchiques, des pratiques du rituel et des allégeances sociales et culturelles, qui se heurtent en permanence dans l’éclatante lumière de l’Évangile.


D’une part, il y a l’Église de la monarchie, celle des riches et des puissants de tout temps. Cette Église qui a siégé à côté des trônes, a parfois sanctifié des princes et des dynasties, en les façonnant ou en les défaisant selon son gré. C’est celle qui a justifié des ordres établis, soutenu des empires et béni des structures d’injustice sous prétexte de maintenir la paix, par exemple pendant les croisades ou lors de la colonisation des Amériques.


Et puis, il y a l’Église des pauvres, du petit peuple, des laissés-pour-compte, celle qui vit parmi les veuves et les femmes seules avec des enfants, des paysans – aujourd’hui des agriculteurs en souffrance – des ouvriers, et ceux qui peinent à vivre avec un salaire, sous le seuil de pauvreté. Cette Église-là est celle des faibles et des malades, sans oublier les sans-abris qui ont toujours existé. C’est l’Église du petit clergé, des martyrs, des résistants et de tous ceux qui dénoncent les abus des puissants, parfois au péril de leur vie. Cette Église-là n’a ni palais, ni château, ni hôtel particulier, mais elle a le cœur de notre Seigneur Jésus pour demeure.

Une Église du pouvoir et une Église de la croix.


Dans l’Évangile, notre Seigneur Jésus refuse le titre de « roi » et d’être couronné « roi ». Il dit : « Mon Royaume n’est pas de ce monde » (Jean 18,36), affirme-t-il devant Pilate. Pourtant, combien de fois l’Église institutionnelle s’est-elle laissée séduire par le pouvoir temporel ? Combien de fois a-t-elle troqué la pauvreté des Béatitudes pour des indulgences plénières ou pour dépouiller les pauvres en remplissant les caisses du Vatican ? Qui pourrait dire le contraire ? L’Église de la monarchie a souvent préféré l’épée à la croix, la défense des privilèges à l’annonce du kérygme (1).


Mais cette dérive n’est pas irrémédiable, car à chaque siècle, des voix se sont élevées pour rappeler à l’Église institutionnelle qu’elle ne peut pas être à la fois servante des puissants et fidèle à son Maître crucifié. François d’Assise (fondateur des Franciscains), Catherine de Sienne (docteure de l’Église), Thérèse de Lisieux (carmélite), Charles de Foucauld (ermite français), Mère Teresa (religieuse), Martin Luther King Jr. (pasteur baptiste), Oscar Romero (archevêque du Salvador), Dorothy Day (journaliste), Madeleine Delbrêl (assistante sociale), Jacques Loew (prêtre dominicain), et bien d’autres ont proclamé avec force que l’unique richesse de l’Église est le Christ pauvre.


Capitalisme, collectivisme ou mutualisme : le dilemme d’une Église en tension

Au-delà des formes politiques, l’Église se trouve confrontée à une tension économique : peut-elle côtoyer sans se compromettre les systèmes capitalistes qui exploitent les faibles ? Peut-elle, à l’inverse, s’engager dans des formes de collectivisme qui nient la liberté individuelle ? Et qu’en est-il d’un modèle comme le mutualisme, qui cherche à réconcilier la liberté personnelle et la solidarité communautaire ?


Notre Seigneur Jésus n’est ni capitaliste, ni socialiste, ni partisan d’un système précis. Il est l’ami des pauvres, mais il ne prêche pas la lutte des classes ; il dénonce tout simplement l’idolâtrie de l’argent. Il dit : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent ! », mais il honore le don libre de Zachée (2), qui restitue ses biens de son propre gré : « Aujourd’hui, le salut est entré dans cette maison » (Luc 19,9).


Le mutualisme, fondé sur l’entraide volontaire et l’organisation solidaire, offre une perspective qui rejoint certains éléments de l’Évangile. Il ne force pas, il propose ; il ne domine pas, il sert (3). C’est une réponse concrète aux systèmes oppressifs, tout en respectant la dignité de chaque personne.


Et pourtant, l’histoire montre que l’Église a tantôt pactisé avec les marchés, tantôt pris fait et cause pour les dénonciations. Elle a accueilli les riches au premier rang des édifices tout en servant la soupe populaire dans ses sous-sols. Ces contradictions, loin de l’affaiblir, témoignent de sa vocation universelle. L’Église est pour tous, mais elle doit être avant tout pour les petits.


Une Église pour tous, réconciliée dans l’amour

Il y aura toujours deux églises dans l’Église. Et aujourd’hui, au 21e siècle, que voit-on ? Dans la sphère catholique, nous retrouvons le même schéma que celui des monastères au Moyen Âge : d’un côté, les catholiques que je nomme « supérieurs », qui détiennent le pouvoir de décision, accèdent aux cercles dirigeants et se cooptent entre eux ; de l’autre, les catholiques « subalternes », relégués à une place d’obéissance et de service, écartés ou rejetés s’ils font trop de vagues. Ils n’ont pas droit au chapitre, aucun pouvoir de décision, et leur avis importe peu.


Cette fracture institutionnelle perpétue une logique hiérarchique qui contredit l’appel universel de l’Évangile à la fraternité. Pourtant, pour notre Seigneur Jésus, il n’y a ni supérieur, ni subalterne, mais une seule communion où chaque membre a sa place dans la construction du Royaume.


Notre Seigneur Jésus a montré par son exemple que le plus grand est celui qui se fait serviteur de tous : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » (Marc 9,35). Ce principe renverse les logiques humaines du pouvoir pour instaurer une fraternité radicale. L’Église doit retrouver cette humilité du service où chacun contribue selon son appel, mais dans un esprit d’égalité devant Dieu.


L’Église de demain ne sera, du moins je l’espère, ni celle des puissants, ni celle des barricades. Elle sera celle des marginaux, des exclus, des pauvres – car il y en aura de plus en plus – ceux qui, dans leur pauvreté, attendent un signe du Royaume. L’Église sera auprès des écorchés de la vie, lavant leurs pieds comme le Seigneur Jésus l’a fait la veille de sa Passion.


Si ces deux églises semblent aujourd’hui inconciliables, elles n’ont qu’une seule voie de réconciliation : le Seigneur Jésus. L’Église n’appartient ni aux riches, ni aux pauvres, ni aux supérieurs, ni aux subalternes, ni à la droite, ni à la gauche. Elle appartient à Celui qui a donné sa vie pour tous.


Dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10,25-37), notre Seigneur Jésus nous enseigne que l’amour se vit dans l’acte concret, dans le soin porté à l’autre, quel qu’il soit. En tant que catholique libertaire, je défendrai jusqu’à mon dernier souffle la liberté des enfants de Dieu, le Père de tous, en rappelant que l’Église est appelée à être en communion où ni la domination des puissants, ni l’uniformité des systèmes ne sauraient prévaloir. Elle est une Église du peuple, mais plus encore, une Église pour tous, réconciliée dans l’amour.


Didier Antoine

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