
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
HANDICAP
Hériter, ou comment donner un sens à ce que l’on n’a pas demandé
Publié dans mon journal le 18 janvier 2025

C’est dans La Croix, ce journal qui sait parfois mêler l’esprit à l’âme, que j’ai découvert cette semaine un article aussi lumineux que provocant. L’histoire de Jacqueline, 90 ans, m’a touché. Mon commentaire sur ce bel article signé Marine Lamoureux.
Une prof d’espagnol à la retraite, sans enfants, qui a transformé son héritage en un trésor de générosité. Cet article m’a rappelé que l’héritage, au-delà des testaments et des calculs, peut devenir une parabole moderne, une manière d’incarner l’Évangile, et même d’illustrer les grands penseurs de tous les temps. Car Jacqueline, à sa façon, est une petite lumière, une sœur universelle qui prêche sans dogme et donne sans condition.
Le talent de Jacqueline : une parabole des temps modernes
La parabole des talents (Matthieu 25:14-30) vient naturellement à l’esprit. Jacqueline a reçu son lot de biens matériels. Elle aurait pu l’enfouir, s’en contenter ou même le gaspiller dans une villa sur la Côte d’Azur (son propre aveu). Mais non, elle a décidé de faire fructifier cet argent pour les autres. Avec son frère en guise de bon conseiller – peut-être son ange gardien d’un jour –, elle a créé une fondation, « Les arts et les autres », en 1992. Et là, tout commence : des dictionnaires pour des prisonniers, des concerts pour des quartiers populaires, et même des défilés de mode pour des femmes en réinsertion avec le grand couturier Christian LACROIX. Voilà une femme qui a fait de son héritage une semence, comme celle qui tombe sur une bonne terre et donne du fruit au centuple.
Héritage et liberté : l’exemple d’une âme libre
Dans l’acte même de donner, Jacqueline s’est libérée. L’héritage peut être une chaîne, un poids, une source de disputes sans fin, comme tant de familles l’ont constaté. Mais pour elle, c’était un outil d’émancipation. Elle a refusé de se définir par la possession. Elle aurait pu, comme tant d’autres, amasser et sécuriser son confort. À la place, elle a choisi ce que Simone Weil appelait « la décréation », cette manière d’effacer son propre égo pour mieux donner place à autrui.
Et si on y regarde bien, cette liberté n’est pas une simple coïncidence. Jacqueline incarne pour moi ce que Paul appelle dans l’épître aux Galates (5:1) « la liberté pour laquelle le Christ nous a libérés ». C’est une liberté en mouvement, tournée vers les autres. Une liberté joyeuse, qui refuse les contraintes de l’orgueil bourgeois ou des conventions rigides.
La tante oubliée, ou la leçon d’un humanisme intégral
Et pourtant, Jacqueline nous livre aussi, dans un soupir, une vérité universelle : la solitude de l’âge. À 90 ans, cette femme qui a tant donné se retrouve seule, oubliée de ses voisins et de ses neveux. Elle rêve d’une « association des tantes oubliées », une idée mi-burlesque, mi-déchirante. Cela résonne comme un écho à Blaise Pascal, qui disait que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. » Les chambres de nos anciens, aujourd’hui, sont souvent vides de visites, pleines de souvenirs. On pourrait ajouter que le malheur vient aussi d’oublier ces témoins d’un autre temps, ces passeurs d’histoires et de sagesse.
Mais Jacqueline, fidèle à son tempérament lumineux, ne tombe pas dans l’amertume. Elle s’offre à nous comme une icône de joie chrétienne. Comme saint François d’Assise, elle semble dire : « C’est en donnant que l’on reçoit. » Et à travers elle, une leçon essentielle transparaît : l’héritage n’est pas seulement ce que l’on reçoit, mais ce que l’on choisit de transmettre.
Conclusion : Jacqueline, ou l’évangile en acte
Jacqueline est l’héritière d’une tradition profondément chrétienne et humaine, celle qui croit que les talents, les biens, et même la vie elle-même ne sont pas faits pour être gardés jalousement, mais pour être partagés. Elle nous rappelle aussi cette vérité simple mais souvent oubliée : ce n’est pas dans la richesse matérielle, mais dans l’abondance du cœur, que réside le véritable bonheur.
Dans une société où l’héritage est souvent perçu comme un droit ou une rente, Jacqueline réinvente ce mot à la lumière de l’Évangile et des grands esprits philosophiques. Elle en fait un devoir, une vocation, un service. Et si l’Église veut retrouver son souffle prophétique, elle ferait bien de s’inspirer de ces figures qui vivent l’amour du prochain dans sa simplicité la plus belle.
Et vous, qui lisez ceci, si vous avez une tante, allez lui rendre visite. Peut-être qu’elle aussi rêve de vous raconter des histoires, d’offrir son héritage – qu’il soit matériel ou spirituel – à celui ou celle qui saura l’écouter.
Didier Antoine