
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Marc 9, 35)
HANDICAP
Dieu n’habite pas l’imposture, mais la vérité face à la fermeture du centre spirituel de l’Arche
vendredi 27 juin 2025

La fermeture de « La Ferme de Trosly » marque bien plus qu’une décision logistique : elle révèle les fissures profondes d’un récit spirituel érigé sur le silence. Derrière les murs aujourd’hui désertés, ce ne sont pas les convictions qui s’effondrent, mais un mensonge sacralisé. Le drame humain et spirituel que ce lieu a abrité ne peut être effacé par une fermeture administrative. Ce n’est pas un lieu que l’on enterre, mais une vérité qui, lentement, refait surface.
Le conseil national de l’Arche en France a annoncé, la semaine dernière, que le centre spirituel dit « La Ferme de Trosly » fermait définitivement ses portes. Il a souligné que c’était aussi à cause du manque de rentabilité et de la localisation. Des mots tièdes pour un drame enfoui qui continue de ronger les fondations du récit officiel.
Personnellement, je n’y entends ni gestion, ni logistique… j’y entends des cris… des gémissements anciens depuis près de quarante ans. Des femmes trahies dans leur foi. Un silence trop pesant dans les murs. J’y entends la douleur d’une Église qui ferme un lieu non pour le transformer, mais pour l’enterrer.
Je prends ma plume avec le cœur serré et les mains qui tremblent, parce que cette décision, aussi justifiée soit-elle, me bouleverse… me révolte… m’attriste. Elle ravive en moi des souvenirs, des douleurs, des désillusions… un sentiment amer qu’au nom du bien, on sacrifie des femmes et des hommes en les mettant au pilori, pour préserver une façade… une élite… une image institutionnelle. On purifie l’intérieur de la boutique, et au diable les consciences. On condamne les gênants pour protéger coûte que coûte le système. La vérité revient, et elle ne demande ni permission ni délais… elle bouscule, dévoile et oblige à choisir entre le confort du mensonge et la clarté douloureuse d’une lumière.
J’ai été permanent dans une institution catholique pendant quinze ans, proche de l’Arche, assez pour en voir les lumières et présenter les ombres. Je suis allé à la Ferme seulement deux fois pour mon travail. J’avoue que c’était un lieu reposant et calme. Pendant une quarantaine d’années, ce centre a accueilli des assistants de l’Arche, des personnes seules, divers groupes, des couples, et même des familles. On y parlait de silence… de relations avec les personnes fragiles… on parlait de Dieu. Et pourtant… quelque chose en moi n’allait pas.
J’ai toujours été réfractaire à Jean Vanier, bien avant les révélations. Je ne le connaissais pas auparavant. Il avait soixante-treize ans quand j’ai pris mes fonctions dans mon institution. Quand on organisait des conférences pour lui, quelque chose sonnait faux dans cette sacralisation de la fragilité qu’il exprimait…
J’ai commencé à lire un ouvrage de lui. Je me suis arrêté à la dixième page. J’en ai pris un autre. J’ai eu l’impression d’avoir lu le même livre.
Derrière les grands discours de Jean Vanier sur la fragilité, le service, sa petitesse évangélique… sa gestuelle et ses temps morts, je ressentais, et je m’y connais en la matière… une grossière mise en scène, un pouvoir de captiver son auditoire sous les habits d’un sage. Je n’étais pas le seul à penser cela dans mon institution. C’était trop ! Et pourtant, le public buvait ses paroles. Je n’arrive pas à l’expliquer. Sa sagesse me paraissait creuse, presque incantatoire. Le public voyait en lui un guide. Moi, je ressentais un profond malaise, à fuir. Le public avait pour lui une fascination aveugle, comme si son aura… qu’on lui prêtait… suffisait à esquiver toutes ses ombres… et Jean Vanier le savait très bien.
Aujourd’hui, tout le milieu catholique sait. Il sait que les prêtres Thomas Philippe et son frère Marie-Dominique Philippe étaient de véritables pervers sexuels. Que Thomas Philippe était le créateur d’une secte mystico-sexuelle clandestine, démente dès 1946. Le monde catholique sait maintenant que Jean Vanier était son disciple le plus fidèle… et très obéissant. Auréolé de toutes les gloires chrétiennes… catholiques… protestantes… et orthodoxes, il est devenu une figure universelle de la compassion, alors même qu’il reproduisait, dans l’ombre, les dérives de son maître, dissimulées sous un langage spirituel trompeur, des pratiques déviantes… tel un gourou pour détruire des femmes vulnérables, dans un système épouvantable et bien protégé.
On ferme un lieu, mais on ne ferme pas les blessures qu’il abritait. Derrière les murs de la « Ferme », ce n’est pas la foi qui s’effondre, mais le mensonge sacralisé.
Oui, l’Arche continue d’accueillir des personnes handicapées. Oui, les assistants continuent de faire un travail remarquable… parfois exploités à mon goût, mais c’est un autre débat. Oui, des merveilles humaines ont été vécues… mais au prix d’une culture du silence, de la soumission… du sacrifice dévoyé. Et cela en Église… sous notre regard… sous notre bénédiction… avec nos hommages officiels et nos applaudissements groupés.
Je suis profondément triste, parce que ce lieu avait un potentiel de beauté malgré ses fondations malsaines. Que des personnes de bonne volonté y ont travaillé, aimé, accueilli, porté ce centre à bout de bras, bien loin des dérives initiales. Je suis triste de voir tous ces salariés au chômage… visiblement sans reclassement. Triste que cela finisse dans l’écroulement, la honte, sans réparation, dans le silence d’une institution qui préfère faire taire les pierres des murs et tourner définitivement la page sans résurrection.
Fermer « la Ferme », ce n’est pas nettoyer, ce n’est pas guérir, ce n’est pas affronter : c’est fuir. Ce lieu s’est transformé en dossier clos.
Didier Antoine
Catholique Libertaire insignifiant