
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
HANDICAP
7 janvier 2015 : La liberté d’expression est un trésor fragile
Page publiée le 7 janvier 2025

Dix ans après le massacre de Charlie Hebdo, l’ombre de cette tragédie plane encore dans mon esprit.
Cet événement a marqué une fracture entre ceux qui défendent bec et ongles une liberté d’expression sans entraves et ceux qui estiment qu’elle devrait être mieux encadrée par la loi pour éviter des drames. Mais aujourd’hui, le véritable enjeu n’est pas tant de définir les limites de la liberté d’expression que de réaffirmer pourquoi elle est essentielle… même, et surtout, pour ce qui dérange.
En tant que catholique libertaire, je l’avoue, je ne suis pas insensible aux blessures que peuvent infliger certaines caricatures, notamment celles qui touchent notre foi. Dans l’excès, il est difficile de voir ce qui est sacré… réduit par une plaisanterie grossière, un dessin volontairement provocateur… voire obscène et terrifiant. Je crois que c’est précisément là que réside le cœur du débat : la liberté d’expression n’a de sens que si elle inclut la possibilité de choquer, de déranger et de provoquer. À défaut, elle devient une liberté conditionnelle, prisonnière des sensibilités de chacun.
Oui, les caricatures blessent. Elles peuvent heurter des groupes, des communautés entières, toucher au cœur des croyances qui structurent des vies, des identités et des idéaux. Mais la blessure, aussi réelle soit-elle, ne justifie en aucun cas la violence physique ou les appels à la répression. Ce que nous avons vu le 7 janvier 2015, et ce que nous voyons aujourd’hui à travers le monde, est une tentative brutale de répondre à une offense par la terreur. Une telle réponse est abjecte.
Il faut dénoncer sans ambiguïté ceux qui emploient la terreur contre les caricatures et autres blasphèmes… Les attaques terroristes visant à faire taire les voix discordantes ne sont rien de moins qu’un reniement des principes fondamentaux de la liberté et même de la dignité humaine. Nous devons combattre ces actes par le débat. Nous ne devons pas céder à la loi de la terreur.
Je suis horrifié par ceux qui appellent aux meurtres au sujet des critiques sur la religion, et encore plus par le fait que notre démocratie ne les condamne pas avec toute la fermeté nécessaire. Ces appels à la barbarie ne relèvent pas de la liberté d’expression… mais de l’abandon complet du dialogue et de la coexistence pacifique. Laisser prospérer la terreur, c’est miner les fondements mêmes de la démocratie.
Ceux qui se sentent offensés par une caricature se rassurent : la liberté d’expression, c’est aussi la liberté de ne pas lire ou de regarder des caricatures. On a le droit de détourner les yeux, de débattre et d’exprimer son désaccord. C’est ça, la richesse d’une société libre. Personne n’est obligé de tout aimer, de tout soutenir, mais tout le monde doit accepter que les opinions divergentes puissent exister.
Les deux limites fondamentales :
Cependant, la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et c’est là que, en tant que catholique libertaire, je rejoins ceux qui appellent à une responsabilité dans son usage. Deux limites doivent être respectées :
Les attaques ad hominem, qui consistent à attaquer directement une personne plutôt que ses idées ou ses arguments. Ces attaques cherchent à discréditer l’individu en pointant son physique, ses origines, ses parents, ses défauts personnels, des ragots, sa vie privée, son conjoint, son orientation sexuelle… souvent sans lien avec le sujet discuté. Ce type d’attaque détourne l’attention du débat en jouant sur des jugements émotionnels ou des préjugés. Elles sont généralement utilisées pour affaiblir un interlocuteur lorsque les arguments intellectuels ou rationnels manquent ou sont insuffisants.
L’appel à la violence, qui représente une limite absolue ne pouvant être tolérée dans une société respectueuse des droits humains. Il va à l’encontre des principes fondamentaux de la liberté d’expression, qui ne doit pas servir à justifier la haine, l’agression ou toute forme de coercition. En incitant à la violence, on compromet la sécurité, la dignité et la coexistence pacifique entre les individus. C’est une ligne rouge clairement définie, qu’aucun prétexte, aucune idéologie ou aucun discours ne devrait permettre de franchir.
La liberté d’expression n’est pas un petit luxe que l’on s’offre pour dire des choses plaisantes… La liberté d’expression est un trésor… qui exige de nous une tolérance à l’inconfort. Pour les croyants comme moi, elle est aussi un espace où la foi peut être proclamée, partagée et défendue. Dans une société où tout peut être discuté, la vérité n’a rien à craindre… elle se renforce dans le débat, elle s’affermit face aux critiques.
Alors, dix ans après Charlie, et sans oublier non plus l’attaque de l’Hyper Cacher, que reste-t-il à dire ? Simplement que protéger la liberté d’expression, c’est accepter qu’elle puisse être utilisée pour dire des choses qui nous heurtent. C’est un prix élevé à payer… mais il est infiniment moins coûteux que celui de la censure, de la violence ou de la peur.
Dans cet esprit, que chacun parle, écrive, dessine… librement, mais avec cette conscience : la parole est puissante et sa vraie force réside dans son usage responsable. Ne la craignons pas, mais n’en abusons pas non plus. Ainsi, nous serons dignes de cette liberté fragile, si précieuse… que d’autres ont payée de leur vie.Force est de constater que, dans le contexte actuel : « JE SUIS CHARLIE », ce cri collectif d’union et de résistance, n’est plus qu’un slogan. Est-ce que cela nous prouve aujourd’hui, vu le contexte actuel après dix ans, que la bataille pour la liberté d’expression est morte ? Que le débat continue !
Didier Antoine