
Journal d'un catholique libertaire
Qui a pris ses distances vis à vis de l'Eglise, de sa hiérarchie et de son pouvoir
EGLISE
Habemus Papam : un souffle venu de Chicago
17 mai 2025

Dans le tumulte de New York, l’élection d’un pape américain résonne comme un signe discret mais puissant. Entre foi intime et regards tournés vers Rome, un catholique libertaire cherche encore l’Évangile dans les marges.
Je savais qu’à la mort du pape François, je serais à New York quand son successeur serait élu. Ce jeudi-là, dans le va-et-vient d’une ville qui semble ignorer Dieu… sur ses trottoirs où se croisent travailleurs new-yorkais et touristes… on arrive à les distinguer… les touristes ont continuellement la tête en l’air, regardant les tours de Babylone. Une ville où il y a des cathédrales gothiques, des églises nichées entre les gratte-ciel. Une ville où le capitalisme se voit en hauteur… où les marchands de hot-dogs sont à chaque coin de rue (sans normes ni contrôles sanitaires), une ville aux grosses berlines… sans Crit’Air… aucune zone à faibles émissions… elles roulent, je ne sais pas où elles se garent, mais elles roulent, testant à chaque instant leur klaxon. Mais c’est aussi une ville fascinante, chargée d’histoire, construite essentiellement par l’immigration européenne. La porte d’entrée du légendaire « Eldorado ». J’y étais avec mon épouse pour une semaine.
C’est autour de 13 h (heure locale) ce jeudi que la nouvelle est tombée : « Habemus Papam », le nouveau pape a choisi de s’appeler Léon XIV.
Ça alors, un pape américain, né à Chicago, évêque au nord du Pérou où il a dû rencontrer la misère. Il faisait partie des papabili que la presse mettait sur ses listes. Mais il ne figurait pas parmi les candidats les plus médiatisés. Sa fonction de préfet du Dicastère chargé des évêques… responsable de la sélection des évêques à l’échelle internationale… sa relation étroite avec le pape François, cardinal depuis deux ans… pour moi, je le disais à mon épouse, il n’avait aucune chance. Mais bon, je ne suis pas un spécialiste, et l’Esprit Saint ne m’a rien soufflé, bien évidemment.
Le soir même, nous sommes allés voir Chicago, la comédie musicale, au cœur de Broadway. En nous dirigeant vers l’Ambassador Theater, nous sommes passés devant Times Square, où nous avons vu, sur l’édifice où l’on installe la fameuse boule de cristal pour le Nouvel An, le portrait du pape, dans le déferlement des illuminations, entre les publicités et les rappeurs. Ça, c’est l’Amérique !
Un pape américain, né à Chicago. Et moi, Français insignifiant à New York, allant voir la comédie musicale qui porte le même nom. Coïncidence. Rien de plus. Et pourtant… il y a parfois des échos entre les choses. Je ne m’y suis pas attardé, mais je l’ai noté.
Je suis un catholique libertaire et je crois profondément au Seigneur Jésus, mais sans me soumettre aux formes figées, aux hiérarchies pesantes, aux pouvoirs trop humains qui, trop souvent, trahissent l’Évangile au nom de la Tradition. Mon Église n’est pas celle des dorures ni des conclaves retransmis en direct, mais celle du silence, du cœur, des gestes discrets, de l’accueil sans condition. Je vis ma foi dans une zone libre, à la marge, mais jamais sans le Seigneur Jésus et Dieu notre Père.
Alors cette élection… je la regarde avec tendresse, distance, lucidité. Je partage sincèrement la joie de mes proches, de mes amis, de ma famille encore attachée aux rites, aux cloches, à la communion visible. Un ami me disait avec une émotion sincère : « C’est toujours émouvant, l’élection d’un pape. » L’attente et les scènes de liesse qui se terminent en louange. Ces moments où les regards se tournent vers Rome, où l’on guette la fumée, comme autrefois les signes dans le ciel.
Ma femme m’a demandé ce que j’en pensais. « Rien, pour l’instant. » C’est vrai. Je ne connais pas ce cardinal. J’ai lu quelques articles. Je ne me risquerai pas à une réflexion trop hâtive. Le monde bruisse déjà d’analyses, de biographies improvisées, de spéculations. Ce n’est pas ma place.
Mais une image m’a frappé. Dans notre hôtel, chaque matin, au petit-déjeuner, deux téléviseurs restaient allumés : l’un sur les infos (Fox, CNN, MSNBC), l’autre sur les sports (SNY, exclusivement). Les touristes, en général, ne s’attardaient pas. Ils dévoraient un muffin, des bagels, des fruits… pressés d’aller découvrir la ville. Mais lorsque la chaîne d’info parlait de l’élection du pape, toutes les têtes se tournaient vers l’écran. Un silence. Une attention collective. Fugace, mais réelle. Comme si, malgré tout, malgré la vitesse, malgré la laïcité, la figure du pape restait une image qui parle à l’humanité.
Je fais partie de ce monde-là, de cette humanité. Et je me suis surpris à espérer. Pas naïvement. Mais lucidement. J’aime l’inattendu, quand il fait émerger du neuf. Un pape américain ? Inimaginable, pensais-je. Mais le Saint-Esprit, s’il souffle encore, souffle où il veut.
Les premières images de Léon XIV montrent un homme calme, au sourire sans artifice, au regard qui semble chercher plus qu’il n’impose. Ses bains de foule, sa posture, tout cela me paraît rassurant. Mais au-delà de la forme, il y a ce nom qu’il a choisi : Léon. Ce n’est pas anodin. Léon XIII, en 1891, publia Rerum Novarum, l’encyclique des « choses nouvelles », posant les fondations de ce qu’on a appelé la doctrine sociale de l’Église. Une tentative de reconnaître la dignité du monde ouvrier, d’appeler les chrétiens à s’impliquer dans la vie publique, à ne pas abandonner le monde aux puissants ni aux idéologies.
Léon XIII appelait à l’éducation pour tous, à l’étude de la Bible, à une Église proche des pauvres, des déplacés, des ouvriers fatigués par une révolution industrielle sans âme… des pauvres gens fuyant les campagnes pour chercher du travail dans les grandes villes, à Paris et dans les usines en banlieue. Certains ne rêvaient pas d’une Église triomphante, mais d’une Église présente… incarnée… humaine.
Léon XIV, s’il veut être fidèle à cette lignée, aura à relever des défis plus grands encore : les abus toujours trop nombreux et trop couverts, la place des femmes toujours en suspens, la douleur des exclus de toutes sortes — croyants ou non, fidèles ou non conformes. Il devra écouter les silences, entendre les cris que l’Église n’entend plus, ou ne veut plus entendre.
Moi, ce que j’attends, c’est simple. C’est radical : l’égalité. Pas celle des discours, mais des faits. Que les laïcs subalternes ne soient plus des figurants face aux élites. Que les pauvres, les gens simples, aient droit de cité. Que les femmes ne soient plus des servantes invisibles. Que les laïcs « supérieurs » ne se cooptent plus entre eux. Que l’Évangile retrouve ses racines : Liberté, Vérité, Dignité.
Car le Seigneur Jésus ne ressemblait pas à un prince. Il n’avait ni mitre, ni croix d’or. Il lavait les pieds. Il pleurait sur Jérusalem. Il pardonnait à une femme adultère. Il se laissait crucifier sans lever la main.
« Si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Marc 9, 35)
Voilà ma boussole. Voilà mon espérance. Si l’Église doit survivre, ce ne sera pas par sa structure, mais par sa capacité à redevenir ce qu’elle était au commencement : un peuple fragile, uni par l’amour, sans grade ni costume.
Je ne demande pas à ce pape d’être parfait. Je lui demande d’être vrai. De marcher avec nous. De nous reconnaître, nous les croyants de l’ombre, les fidèles du doute, les catholiques en rupture mais pas en exil.
Et moi, catholique libertaire, je continuerai de croire. Non par obéissance, mais par amour pour le Seigneur Jésus. Non dans les palais, mais dans les rues… les campagnes… dans les silences… dans l’attente.
Le Seigneur est là… Il est vivant… Il a choisi d’habiter un jour dans le visage d’un enfant de Chicago … l’Évangile continue… l’espérance est toujours en marche, portée par chaque regard qui aime et chaque main qui relève.
Bon courage, Léon.
Didier Antoine
Catholique libertaire insignifiant